L’audace et la patience se sont avérées payantes pour Martin Panchaud : La couleur des choses, son premier livre au style qu’on a envie de qualifier de « BD IKEA », lui a valu rien de moins que le Fauve d’or du meilleur album de l’année au dernier Festival d’Angoulême. Le bédéiste suisse est l’un des invités du Festival BD Montréal, qui débute vendredi rue Saint-Denis.

Il n’est pas arrivé à la bande dessinée par le dessin. Il admet bien candidement ne pas bien connaître les classiques du 9e art. Il a développé sa manière en adaptant l’un des films de la série Star Wars, mais l’explique en faisant référence au Petit Prince de Saint-Exupéry. Martin Panchaud n’est pas un bédéiste ordinaire. Son premier livre, à placer au rayon des bandes dessinées romanesques fantastiquement originales, n’est pas un livre ordinaire non plus.

Comme son titre ne l’indique pas, La couleur des choses raconte l’histoire de Simon, un jeune Anglais de 14 ans un peu grassouillet qui vit dans une famille pas très fonctionnelle et se fait intimider par des petits bums de son quartier. Sa vie changera le jour où, sur les conseils d’une diseuse de bonne aventure, il jouera aux courses et remportera une fortune.

L’argent fera-t-il son bonheur ? Pas toujours. En tout cas, pas tout de suite, constate-t-on en le suivant entre Londres, Birmingham et Liverpool dans sa quête pour retrouver son père et sauver sa mère.

Raconter d’abord l’histoire, c’est le truc utilisé par un libraire pour susciter l’intérêt des lecteurs, dit Martin Panchaud lors d’un entretien réalisé peu avant son arrivée au Québec, où il est l’un des invités du Festival BD Montréal, tenu de vendredi à dimanche rue Saint-Denis, entre Roy et Gilford. « Il trouvait que c’était la meilleure façon de faire pour que les lecteurs ne pensent pas que ce sera un livre ennuyeux, d’une lecture ardue », précise le bédéiste, sans ironie.

Quel risque y a-t-il à zyeuter les pages de La couleur des choses ? Peut-être d’être rebuté si on est plus conservateur, mais il y a surtout la possibilité d’être intrigué par l’originalité de son approche.

L’artiste, qui a fait des études en graphisme, a opté pour un style qui n’a aucune envie de donner l’illusion de la réalité : l’action est toujours vue de haut, sans aucune perspective, son langage visuel emprunte aux devis techniques, à la publicité et à l’illustration et ses personnages sont de simples ronds de couleur qui se déplacent dans des décors comptant juste assez d’éléments reconnaissables pour situer le lecteur.

Extraits de La couleur des choses, de Martin Panchaud
  • LA COULEUR DES CHOSES, MARTIN PANCHAUD, PUBLIÉ AUX ÉDITIONS ÇÀ ET LÀ

  • LA COULEUR DES CHOSES, MARTIN PANCHAUD, PUBLIÉ AUX ÉDITIONS ÇÀ ET LÀ

  • LA COULEUR DES CHOSES, MARTIN PANCHAUD, PUBLIÉ AUX ÉDITIONS ÇÀ ET LÀ

  • LA COULEUR DES CHOSES, MARTIN PANCHAUD, PUBLIÉ AUX ÉDITIONS ÇÀ ET LÀ

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Abstrait, tout ça ? Bien moins qu’une telle description peut le laisser croire. Martin Panchaud a en fait trimé pour en arriver à un minimalisme évocateur. « L’idée était de raconter une histoire avec le moins d’éléments possible, explique-t-il. J’ai constaté que de faire parler des formes géométriques, ça marche. Le cerveau fait la traduction et se dit : cette forme ronde, c’est un humain. Ensuite, il me fallait guider la lecture en donnant au lecteur des choses qu’il reconnaissait. »

Ce jeu avec le lecteur — c’est en effet plus ludique que cérébral —, il le relie au mouton que l’aviateur de Saint-Exupéry est incapable de dessiner pour son Petit Prince et qu’il finit par mettre dans une boîte : l’agaçant blondinet n’a plus qu’à l’imaginer pour se satisfaire. Martin Panchaud a aussi appliqué cette approche dans une adaptation du quatrième volet de la série Star Wars, A New Hope, qui se déploie comme une tapisserie médiévale et qu’on peut encore lire sur l’internet.

IMAGE DE L’ADAPTATION DE STAR WARS PAR MARTIN PANCHAUD

Martin Panchaud a transposé Star Wars en une longue fresque numérique minimaliste, mais impressionnante où, là encore, les personnages sont des ronds de couleur.

Du point de vue de l’auteur, c’est une façon d’inviter le lecteur à « combler les vides » qu’il laisse sur le plan visuel. « J’aime à penser que, plus un lecteur est impliqué dans le déchiffrage d’un univers ou d’une histoire, plus ça le rapproche des émotions et des actions [des personnages] », dit-il.

Lui-même, comme lecteur, trouve ce lien lorsqu’il lit Lovecraft, un auteur versé dans un « art de la description qui ne décrit rien ».

Le maître américain de l’étrange utilise en effet un langage tellement flou qu’il ne fait qu’évoquer les lieux et les atmosphères, forçant ses lecteurs à y projeter leurs propres peurs et malaises.

Il y a une lointaine parenté entre Martin Panchaud et Chris Ware, dont le style a aussi quelque chose de technique et droit. Le bédéiste suisse construit toutefois ses planches de manière bien plus épurée que l’Américain et joue habilement de tous les outils à sa disposition, de la typographie au plan IKEA, du logo au dessin technique, pour enrichir son récit et en faire quelque chose d’épatant. D’où ce Fauve d’or, qui couronne une démarche singulière et une œuvre qui plaira aux lecteurs plus désireux d’arpenter de nouveaux territoires que de plonger dans une millième déclinaison de Thorgal.

Lisez l’adaptation de Star Wars Consultez la programmation du Festival BD Montréal
La couleur des choses

La couleur des choses

Çà et Là

225 pages

Des activités à ne pas manquer

Émotions à la page

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La bédéiste Boum — Samantha Leriche-Gionet — sera de la table ronde sur la transmission des émotions.

Il existe plusieurs chemins pour se rendre jusqu’au cœur du lecteur. Boum (La méduse), Jean-Louis Tripp (Le petit frère) et Martin Panchaud (La couleur des choses) viendront tous trois exposer les outils qu’ils privilégient pour rendre leurs pages touchantes. La discussion aura lieu samedi, au stand E36, rue Saint-Denis, près de la rue De Bienville.

Mini BD et œuvre murale

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Le bédéiste Michel Rabagliati a fait la maquette de l’œuvre murale qui sera peinte pour lui rendre hommage, ainsi qu’à sa série Paul, à l’angle des rues Gilford et Saint-Denis.

L’équipe de MU enseignera les rudiments de la BD aux jeunes, qui pourront repartir avec leurs créations, bien entendu. L’atelier est offert de vendredi à dimanche à 15 h et 15 h 30, au coin des rues Saint-Denis et Gilford, là où les artistes Dominique Desbiens et Bruno Rouyère réaliseront pour le compte de MU une œuvre murale en hommage à Michel Rabagliati. Le créateur de la série Paul en a lui-même fait la maquette.

Arts graphiques et IA

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le bédéiste Jean-Paul Eid

L’artiste et chercheur Simon Demeule et le bédéiste Jean-Paul Eid (Le petit astronaute, Memoria, La femme aux cartes postales) discuteront des effets de l’intelligence artificielle (IA) sur les arts graphiques. S’agit-il d’un outil de plus pour les créateurs ? Rendez-vous au stand E37, rue Saint-Denis près de la rue De Bienville, dimanche à 14 h.