Ayant été mis au défi de présenter un spectacle solo dans le cadre de Zoofest, Gilbert Rozon s'en est finalement bien tiré, hier soir, à l'agora Hydro-Québec de l'UQAM. Remontant le chemin qui l'a conduit à fonder Juste pour rire, le producteur a moins donné un show d'humour qu'une classe de maître sur la confiance en soi et le désir - parfois irrésistible - de réussir sa vie.

S'il a redit son étonnement, en entrant sur scène, de se retrouver là où se tiennent d'ordinaire «ses» artistes, Gilbert Rozon n'a jamais eu l'air d'un imposteur pendant les 75 minutes de cet exercice artistique sans lendemain qui avait attiré, hier soir, des acteurs du monde de la politique, du spectacle et des affaires.

D'abord parce qu'il est excellent communicateur, comme tout bon avocat, ce qu'il a brièvement été. Parce qu'il a (évidemment) le sens de l'humour, mais aussi à cause de sa vie qui n'a pas été banale, loin de là.

Il a commencé sa narration en expliquant qu'en mai 1967, alors qu'il était enfant de choeur dans la paroisse de Saint-André-d'Argenteuil, la mort du fossoyeur lui a mis, de force, du plomb dans la tête puisque le curé lui a alors demandé de le remplacer!

Mais 65$ l'été et 100$ l'hiver, quand on est un gamin de 13 ans, ça ne se refuse pas et ça lui a permis de payer une partie de ses études. Il a raconté que sa famille était très religieuse et très vaillante, ajoutant que la télévision et le piano lui avaient procuré ses premiers frissons artistiques, notamment l'émission Moi et l'autre.

«En 1967, quand Radio-Canada a annoncé l'arrivée de la couleur pour la télé, le jour dit, on a attendu la couleur devant notre télé en noir et blanc!», a-t-il lancé, provoquant des fous rires.

Il a poursuivi en soulignant que l'orienteur de la polyvalente de Lachute lui avait prédit qu'il serait maître d'hôtel, détective et curé! Mais quelques semaines plus tard, il a aidé une troupe de théâtre de passage dans son village, pour sortir les décors. Côtoyer Roger Lebel a provoqué un déclic.

«Je me suis mis à monter des spectacles à l'école et à aller en voir à Montréal. Mon père voulait que je sois avocat, médecin ou député. Des jobs nobles. Ça a changé depuis! Non, je plaisante, j'aime bien la politique!»

Gilbert Rozon a ensuite raconté ses expériences d'organisateur de spectacles alors qu'il était dans la jeune vingtaine. Il part en tournée, mais perd de l'argent. Un accident routier à Baie-Saint-Paul manque de lui coûter la vie en août 1974 et emporte deux de ses camarades. «Je n'avais plus le coeur à continuer, dit-il. Je doutais.»

Mais le destin l'a mis sur le chemin d'une imprimerie puis des Jeux olympiques de Montréal, en 1976, et, enfin, de Paris, où il découvre, en allant au théâtre, à la fois l'ivresse de la culture et son propre manque de culture. «J'avais 22 ans, j'ai eu un peu honte de mon côté provincial, alors je suis revenu au Québec et je me suis inscrit en droit.»

Devenu avocat mais poussé par ses envies artistiques, Gilbert Rozon fera un tabac en organisant un festival à Lachute en 1980, avec Jacques Higelin, Paul et Paul et Offenbach, attirant 40 000 spectateurs le samedi. Après un deuxième essai infructueux, il se plantera encore à Pointe-aux-Trembles, à cause de la météo, notamment.

Ruiné, il va renaître en 1983 en créant le festival Juste pour rire grâce à la venue de Charles Trenet, qu'il était arrivé à convaincre à force d'arguments convaincants, de bons contacts et d'une certaine habileté commerciale. «Je n'avais pas une cenne à sept semaines du festival, j'avais du mal à respirer!» Mais ses investisseurs lui ont donné, sans doute, une dernière chance. «Voilà ce qui a façonné ma vie. Trenet a été mon porte-bonheur. Ma destinée, c'est Juste pour rire», a conclu le boss du plus grand festival d'humour au monde.

Avant de quitter la scène et d'être chaleureusement applaudi, Gilbert Rozon a raconté une dernière anecdote. C'est bien lui qui crie «Maman, c'est fini!!!!» à chaque fin d'émission de Juste pour rire. Parce qu'il le faisait mieux que Jean-Guy Moreau... Oui, l'humour est sa destinée. Et sa scène est la planète...