Au micro de Monique Giroux, il y a quelques semaines, Roxane Filion, une des choristes d’En direct de l’univers, a raconté comment est venue l’idée du très beau disque Chansons oubliées qu’elle vient de mettre sur le marché.

Lors de soupers avec des amis, dont l’auteur Luc Dionne, il y a toujours un moment consacré à l’écoute de chansons. C’est l’occasion pour ces mélomanes de faire découvrir des perles cachées aux autres.

Ce plaisir, j’aime aussi le vivre avec mes amis. Autour d’un haut-parleur Bluetooth, chacun sort son cellulaire et dégaine des chansons que le temps a mises sur la voie de desserte, des versions introuvables, des enregistrements inédits.

Pour la fan de Diane Dufresne, c’est Here and Now, la version anglaise d’Il viendra mon amour ; pour un autre, c’est Hey You Woman, qu’on a connue ici grâce à Lucien Francœur, mais rendue cette fois par Michel Polnareff ; pour le nostalgique des années 1970, c’est Légende du Mont-Rouge, que Serge Fiori, Monique Fauteux, Marie-Claire Séguin et Louis Valois ont chantée lors d’une tournée avec Neil Chotem ; pour le collectionneur pointu, c’est La chasse aux papillons interprétée par Renée Claude lors d’une audition à Radio-Canada, au début des années 1960.

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Ces « combats » de chansons rares sont l’un de mes grands plaisirs. Ils me donnent l’impression de ramener à la vie des voix que l’on croyait mortes à tout jamais.

Nourrie par Luc Dionne et l’équipe du disque, Roxane Filion a créé un bouquet de chansons qu’elle fait aujourd’hui revivre : Voyager léger, de Richard Séguin ; La fille de l’île, de Félix Leclerc, que Monique Leyrac a interprétée ; La boulée, de Robert Charlebois ; Où vont les fleurs, version française de Where Have All the Flowers Gone ?, que Juliette Gréco, Marlene Dietrich et Eva ont chantée ; Ce matin, sublime chanson de Diane Juster ; ainsi que Pauvre amour, de Marcel Lefebvre et François Cousineau, petit bijou qu’on retrouve sur la trame sonore du film L’initiation.

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Et puis, vous allez y retrouver Au temps qui ne revient plus, de Raymond Lévesque. C’est cette chanson qu’on a pu entendre à la fin du dernier épisode de District 31 et qui a fait pleurer le Québec en entier.

Roxane Filion a aussi fait le pari d’interpréter Le monde est fou, de Luc Plamondon et Christian Saint-Roch, chanson de sept minutes créée par Renée Claude en 1972, sur son disque Ce soir je fais l’amour avec toi. La partie appelée Ne tuons pas la beauté du monde a été reprise en 1979 par Diane Dufresne sur son disque Striptease.

L’exercice auquel se prête Roxane Filion est devenu rare. Les artistes craignent-ils de dérouter une part du public, notamment les jeunes, en revisitant de « vieilles chansons » ? « Il ne faut pas avoir peur de présenter ce répertoire aux jeunes, a dit la chanteuse à Monique Giroux. Il faut leur faire confiance. »

Elle a parfaitement raison.

En fait, quand on entend les versions originales de certaines chansons oubliées, on découvre la vraie raison qui empêche la résurrection de ces perles cachées : il est très difficile d’imaginer leur renouveau. On a du mal à les replanter dans notre époque avec des sonorités et des arrangements différents.

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Écoutez les versions originales de La fille de l’île et du Temps qui ne revient plus et vous allez comprendre ce que je veux dire. Ce saut dans le temps, c’est ce que Roxane Filion et son équipe ont réussi à faire.

Bravo donc à ces « anthropologues de la chanson » qui exhument ces trésors pour notre plus grand plaisir. Je pense à Marie Michèle Desrosiers et à son disque C’est ici que je veux vivre où elle reprend Le Monument National, de Robert Charlebois , En veillant su’l perron (Sur l’perron) , de Camille Andréa (popularisée par notre Dodo nationale), et Parlez-moi de vous, de Claude Gauthier.

Il y a aussi Marie Denise Pelletier et le disque Le rendez-vous où elle fait vibrer des chansons comme Si les bateaux, de Gilles Vigneault, et Le ciel se marie avec la mer, de Jacques Blanchet, que son amie Lucille Dumont a brillamment portée.

On peut aussi souligner le superbe projet des Duos improbables, volumes 1 et 2, qui a permis à plusieurs chansons de renaître grâce à de surprenants tandems d’interprètes. Et puis, il ne faudrait pas oublier les nombreux disques de Star Académie qui, grâce à la passion de Stéphane Laporte, a propulsé de nouveau des airs qui méritaient une seconde vie.

Il se fait de très bonnes chansons au Québec. Mais il s’en fait aussi de très moyennes, il faut le reconnaître. Des textes maladroits bourrés d’images abstraites et de mots qui ne veulent rien dire, j’en entends régulièrement. Et j’en entends trop.

Et si on remplaçait quelques-unes de ces chansons qui mériteraient d’être retravaillées par d’autres plus solides qui sommeillent dans les armoires de notre héritage collectif ? Ça honorerait la mémoire de ceux et celles qui les ont créées. Et ça ferait du bien à nos oreilles.