L’émouvant deuil collectif provoqué par la disparition du chanteur des Cowboys Fringants a inspiré cette réflexion originale sur la situation inquiétante de la chanson québécoise

L’automne a vu les témoignages et les émotions déferler. Du mot personnel à la communion au Centre Bell, les hommages nous ont chavirés et rassurés : nous ne sommes pas seuls à être gagnés par la peine et la nostalgie. Une chance qu’on s’a.

Mes plus sincères pensées sont allées et vont encore aux proches du grand Karl Tremblay et à la multitude qu’il a touchée.

Une image forte est celle des premières notes des Étoiles filantes qui ont résonné dans les interphones des petites écoles d’ici et d’à côté. Il est émouvant de réaliser que des centaines – j’espère des milliers – d’enfants ont reçu de leur parent le cadeau de cette chanson.

À la tendresse de cette image a succédé un pincement au cœur en repensant à une manchette de l’année. Selon l’ADISQ, le contenu québécois sur les plateformes d’écoute se situe autour de 8 %. En juin dernier, aucune chanson en français n’avait trouvé sa place parmi les 100 morceaux les plus populaires au Québec. Les statistiques publiées par la plateforme Spotify n’ont rien non plus pour nous rassurer⁠1.

D’aucune manière je ne voudrais transformer un deuil en pamphlet. Je ne suis pas une artiste et je ne suis pas un membre de l’industrie. Je suis une fille ben ordinaire, une erreur statistique qui se demande comment endiguer la marée. Voilà pourquoi je m’essaie par ce texte à une sorte de chanson d’amour au refrain malhabile.

L’amour n’est pas sans pitié, mais le marché l’est. Pourtant, la menace est connue et on l’a chantée. Mommy, Daddy, V’là les yankees. On a lancé Tous les cris les S.O.S., évoqué le Château de sable.

Nous avons plus fort que des lois, même si ces dernières sont assurément nécessaires. Nous avons des enfants, les nôtres et ceux qu’on côtoie, à qui on peut offrir le cadeau de l’appartenance par la chanson.

C’est ce qu’ont réussi Les Cowboys Fringants dont les fans sont allés allumer des lampions en famille à L’Assomption et ailleurs au Québec.

Notre relation collective avec nos interprètes et nos poètes de la chanson est à protéger. Or, Sauver notre âme implique un certain effort. Nous avons la responsabilité d’écouter et de chanter, et aussi de dénicher et de faire preuve de curiosité.

Jadis, on a applaudi le loup, le renard et le lion. Aujourd’hui et pour demain, on veut pouvoir entendre la louve, la renarde et la lionne. Parions que la première s’est nourrie de l’immensité du Nitassinan, que la deuxième a grandi dans des ruelles vertes et que la troisième a été bercée sous le soleil de Kigali. Elles méritent qu’une foule immense les applaudisse. Quant à nous, il faut aspirer et chérir ces moments de communion. L’apothéose des Cowboys sur les Plaines n’aurait pas eu lieu si ce lien fort n’avait pas pris racine pour un million de gens dans des moments du quotidien ou de grande émotion.

Sans idolâtrer le passé, j’aspire à un avenir qui ne soit pas dénué de points de repère. Au bout du chemin, il doit pouvoir rester, de nos p’tits ancrages dans ce monde effréné.

Les dernières semaines nous ont montré comment la chanson – notre chanson ! – pouvait être rassembleuse, à quel point elle pouvait marquer nos rites de passage.

Soyons solidaires, soyons curieux et soyons fidèles à ceux et celles qui manient les mots et les guitares.

Notre accent d’Amérique pleure, mais la clameur le préserve de la noirceur.

Merci, Karl et Les Cowboys Fringants, pour ce legs immense et ce cadeau de l’appartenance ; vous ferez à jamais partie des géants.

On vous va écouter Encore et encore, Entre Noël et le Jour de l’An et toute l’année durant.

Les mots en italique réfèrent à des titres ou des extraits de chanson québécoise.

– « Un goût de naufrage et une clé » – Extrait de la chanson Un château de sable de Paul Piché

– Une chance qu’on s’a – Titre d’une chanson de Jean-Pierre Ferland

— « Je suis une fille ben ordinaire » – Extrait de la version féminine (popularisée par Céline Dion) de la chanson Ordinaire de Robert Charlebois

— « Chanson d’amour au refrain malhabile » – Extrait de la chanson Le cœur de ma vie de Michel Rivard

– L’amour est sans pitié – Titre d’une chanson de Jean Leloup

– Mommy, Daddy – Titre d’une chanson écrite par Gilles Richer et chantée par Dominique Michel et Marc Gélinas

— « V’là les Yankees » – Extrait de la chanson Les Yankees de Richard Desjardins

– Tous les cris les S.O.S. — Chanson écrite par Daniel Balavoine et popularisée par Marie Denise Pelletier

– Un château de sable – Titre d’une chanson de Paul Piché

– Sauver mon [notre] âme – Titre d’une chanson de Luc De Larochellière et Marc Pérusse

— « Un million de gens » – Extrait de la chanson Comme un million de gens de Claude Dubois

– « Au bout du chemin, il doit pouvoir rester, de nos p’tits ancrages dans ce monde effréné » – Emprunt à la chanson Les étoiles filantes des Cowboys Fringants

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