« Le Château Dufresne est la seule œuvre significative profane de Guido Nincheri qui existe encore au Canada », souligne la directrice générale et conservatrice Manon Lapointe.
Nous sommes plusieurs à être souvent passés devant le Château Dufresne sans jamais l’avoir visité. Derrière son imposante façade, les murs portent l’héritage artistique de Guido Nincheri, qu’on surnommait le Michel-Ange du Québec.
On doit à Guido Nincheri et aux membres de son équipe près de 5000 verrières dans 250 lieux de culte. Une production faramineuse.
Manon Lapointe, directrice générale et conservatrice
On peut admirer son travail aux églises Saint-Léon de Westmount et Saint-Esprit de Rosemont, alors que des gens remettent en valeur ses fresques à l’église Sainte-Madeleine d’Outremont1. Mais il ne faisait pas que de l’art religieux. L’exposition Du profane au sacré, présentée jusqu’au 30 juin prochain, permet de découvrir sa riche contribution au Château Dufresne.
Les Dufresne, les frères prospères de l’Est
Ce n’est pas pour rien que les frères Marius et Oscar Dufresne ont fait appel aux services du peintre né en Italie pour orner les murs de leurs deux maisons jumelées situées à l’angle de la rue Sherbrooke Est et du boulevard Pie-IX.
Fils d’une famille qui avait fait fortune dans le domaine de la chaussure (ce qui a inspiré le film et la série de livres de fiction La Cordonnière), les frères Dufresne étaient de grands visionnaires et bâtisseurs historiques de l’est de Montréal. Ingénieur, Marius Dufresne a dessiné les plans du parc et du marché Maisonneuve. Il s’est inspiré des Champs-Élysées pour faire les boulevards Morgan et Pie-IX. Davantage porté sur les affaires et la politique au sein de l’ancienne cité de Maisonneuve, son frère Oscar a fait don à Marie-Victorin des terres du Jardin botanique.
Les deux frères ont fondé la Dufresne Construction Company et la Dufresne Engineering Company, puis ils ont fait construire le Château Dufresne entre 1915 et 1918. « Ils voulaient faire un contrepoids à la bourgeoisie anglophone du Golden Square Mile rue Sherbrooke Ouest », indique Manon Lapointe.
Les bureaux de leurs deux entreprises occupaient un immeuble Art déco au 1832, boulevard Pie-IX. En échange de la décoration du Château Dufresne, les frères Dufresne ont offert un espace à Guido Nincheri à l’arrière pour que le maître verrier puisse y aménager son atelier. Les lieux sont par ailleurs en rénovation dans le but d’y faire un centre d’interprétation ouvert au public.
« Les Dufresne sont responsables de la construction de ponts et de barrages », ajoute Manon Lapointe. Marius est par ailleurs mort en étant heurté par une poutre, sur le chantier du pont qui relie Laval et Rosemère et qui porte aujourd’hui son nom.
Rappel des faits : quand les pères de Sainte-Croix ont acquis le Château Dufresne en 1948 pour en faire un pavillon de leur collège, ils ont fait recouvrir les nombreuses fresques de Nincheri comportant de la nudité, histoire que les jeunes garçons en externat ne soient pas déconcentrés.
« C’était d’un commun accord avec Nincheri, précise Mme Lapointe. C’était un compromis de mettre de la peinture à l’eau pour que ce soit réversible. »
Sauvetage in extremis
Nincheri désirait que ses peintures de nus puissent être redécouvertes, mais ce ne fut pas si simple. En 1957, le Château Dufresne a été racheté par la Ville de Montréal. Après « une période sombre d’abandon et de vandalisme », dixit Mme Lapointe, il a été question de le démolir en vue d’en faire un stationnement pour les Jeux olympiques, mais la Fondation Macdonald Stewart a sauvé les meubles et le Château a été déclaré monument historique. Il a été restauré en 1975 par l’artiste Nicolas Sollogoub, et c’est là que des œuvres de Nincheri ont pu revoir la lumière du jour.
Autre fait fascinant : Nincheri a passé la fin de sa vie en Nouvelle-Angleterre, après des mois d’incarcération. On l’a en effet accusé de fascisme pour avoir peint Mussolini à cheval à l’église Notre-Dame-de-la-Défense, dans la Petite Italie. « Il faut savoir, et c’est ce qu’a démontré sa femme Giulia, qu’il répondait à une demande ferme », souligne Manon Lapointe. Et c’était avant que Mussolini devienne le dictateur qu’on connaît.
L’exposition Du profane au sacré propose un nouveau parcours de visite au Château Dufresne pour découvrir son inestimable contribution, ainsi qu’une section temporaire avec des esquisses, des œuvres originales et une vidéo sur son atelier qui comptait une dizaine d’employés.
Le Château Dufresne représente une partie importance de l’histoire de Montréal. Il fêtera son 50e anniversaire en tant que monument historique en 2026, en même temps que celui des Jeux olympiques de Montréal.
1. Lisez la chronique de Mario Girard « Des murs qui ressuscitent » Consultez le site du Château Dufresne