Delta annulera cet automne son vol direct entre Québec et New York. WestJet, sa liaison vers Fort Lauderdale. Et une étude place l'aéroport international Jean-Lesage en queue de peloton d'un classement nord-américain. En crise, l'aéroport de Québec ? Tout le contraire, martèle son grand patron, alors que le nombre de passagers a doublé depuis 10 ans et qu'un agrandissement de 277 millions sera inauguré sous peu.

Gaëtan Gagné nous accueille dans son vaste bureau vitré, doté d'une vue imprenable sur les montagnes Laurentides qui s'étendent au nord de Québec. En contrebas, des ouvriers finissent d'inspecter la principale piste de l'aéroport international Jean-Lesage, d'un calme plat en cet après-midi ensoleillé. Elle sera rouverte le lendemain après une réfection complète de 25 millions de dollars.

Ce chantier n'est que la pointe de l'iceberg d'une vaste transformation de plusieurs centaines de millions lancée il y a une douzaine d'années. Une cure de jouvence qui n'avait rien d'un luxe, rappelle M. Gagné, président et chef de la direction de l'aéroport de Québec. «Les infrastructures à l'époque étaient très, très rudimentaires. C'étaient des installations qu'on pourrait plutôt qualifier de régionales et qui ne répondaient pas à la demande d'une capitale comme Québec.»

Au tournant du millénaire, Jean-Lesage affiche en effet une bien triste mine. Soviétique, presque. On n'y compte aucune passerelle pour l'embarquement; presque aucun service pour les voyageurs; et à peine une dizaine de vols par jour. Le trafic stagne autour de 650 000 passagers par an, un nombre famélique pour une ville de 800 000 habitants.

«Québec était vu comme un alimenteur [feeder] des autres aéroports. Tout se passait dans la grande colonie montréalaise ou torontoise», dit M. Gagné, président et chef de la direction de l'aéroport.

Le vent commence à tourner au milieu des années 2000 alors que la Vieille Capitale prépare les célébrations en vue de son 400e anniversaire. L'autorité aéroportuaire décide d'investir 100 millions pour construire un terminal pour le trafic intérieur doté de passerelles d'embarquement et de services comme un restaurant Tim Hortons. 

L'inauguration de ce bâtiment, lumineux et aéré, a marqué un tournant. «Je pense que ça a permis aux gens de Québec de réaliser que c'était important d'avoir des infrastructures, dit Gaëtan Gagné. Le trafic a monté rapidement par la suite.»

Problèmes de croissance?

Malgré ce coup de barre, Jean-Lesage reste encore aujourd'hui à la traîne par rapport à ses pairs. L'aéroport québécois accueille deux fois et demie moins de passagers que celui de Winnipeg, une ville à la population similaire. Consciente de ces lacunes - et des besoins grandissants d'une région en plein boom économique -, l'équipe de direction décide en 2010 de lancer un nouveau plan d'affaires étalé sur 10 ans. Les investissements prévus atteignent le demi-milliard.

Parmi les nombreux chantiers, on compte un nouveau terminal international de plus de 200 millions, qui sera inauguré en décembre prochain. Cet agrandissement fera doubler la superficie de l'aérogare de 25 000 à 50 000 mètres carrés. Un centre de prédédouanement américain sera aussi construit d'ici 2019.

Tous ces travaux ont eu un coût élevé, qui se reflète notamment dans la performance de l'aéroport Jean-Lesage en matière d'efficience et de productivité, selon une étude réalisée pour l'Air Transport Research Society. D'après ce classement, l'aérogare de Québec arrive au 82e rang nord-américain à ce chapitre... sur 82.

«Québec se retrouve vraiment en bas du classement. En matière de productivité, le coût de chaque employé par passager est pratiquement le double de la moyenne nord-américaine», dit la chercheuse Chunyan Yu, en entrevue à La Presse.

L'aéroport Jean-Lesage recourt beaucoup moins à la sous-traitance qu'ailleurs en Amérique du Nord, note Mme Yu, ce qui fait bondir les coûts de main-d'oeuvre. Elle précise que son étude n'évalue pas la qualité du service offert, mais plutôt la productivité.

Sans connaître tous les critères de l'étude, Alain Aubut, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Québec, concède que les tarifs peuvent être plus élevés à Jean-Lesage qu'ailleurs. «Oui, il y a des tarifs élevés, mais ça a servi à quelque chose de concret, soit l'agrandissement et le centre de prédédouanement. Quand tu investis énormément, c'est normal que les frais soient plus élevés.»

Liaisons annulées

Parmi les problèmes plus pressants, Alain Aubut pointe la faible quantité de vols directs vers les États-Unis, une situation qui touche en particulier la clientèle d'affaires. Les seuls vols directs offerts par Air Canada, à l'exception de ceux vers Montréal et Toronto, sont vers Sept-Îles, Gaspé et Ottawa. Or, Québec a la «masse critique» pour justifier davantage de liaisons directes, plaide-t-il.

«C'est un peu comme la saucisse Hygrade : c'est l'offre et la demande. S'il y a peu d'offre, il y a peu de demande.»

L'offre de vols directs se trouvera encore plus réduite prochainement, alors que Delta supprimera sa liaison vers New York à l'automne. WestJet, de son côté, annulera son vol Québec-Fort Lauderdale, faute de demande suffisante, confirme la porte-parole Lauren Stewart.

Gaëtan Gagné ne s'inquiète absolument pas de l'abandon de ces routes aériennes. Et n'y voit pas une «tendance lourde», bien au contraire. «C'est un peu comme à la Bourse, il y a des jours où c'est à la hausse et d'autres où c'est à la baisse.»

Le dirigeant rappelle que WestJet a annoncé l'ajout de 70 nouveaux vols hebdomadaires en direction et au départ de Québec, en février dernier. Ces vols, surtout vers Montréal et Toronto, permettront plusieurs nouvelles correspondances dans le monde grâce à des transporteurs partenaires comme KLM, Emirates ou China Southern.

Excédents financiers 

Quant à l'étude dévastatrice de la Air Transport Research Society, Gaëtan Gagné en rejette les conclusions et remet en cause la méthodologie. Il se félicite au passage des excédents financiers de près de 9 millions enregistrés l'an dernier par son organisation, ce qui témoigne, selon lui, de la saine gestion de l'aéroport.

«Je ne peux pas commenter une étude qui me compare avec des aéroports américains comme Los Angeles ou San Francisco, où il n'y a pas de neige, ou avec des aéroports qui n'ont pas investi en améliorations depuis 15 ans, lance-t-il. À l'aéroport de Québec, on a investi pour le futur, donc c'est sûr qu'il y a des frais supplémentaires.»

Québec vise à accueillir 2 millions de passagers d'ici 2020.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, COLLABORATION SPÉCIALE

Gaëtan Gagné