La prochaine dispute commerciale canado-américaine a pris forme jeudi lors d'une audience à Washington et du début d'une enquête sur les allégations de Boeing voulant que Bombardier ait bénéficié d'avantages injustes pour vendre ses avions CSeries au sud de la frontière.

Selon le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, le processus vise à déterminer si les règles américaines ont été violées.

«Bien que nous nous assurerons de prendre une décision fondée sur les faits, nous allons (...) nous tenir debout pour les compagnies américaines et leurs travailleurs», a-t-il souligné, par communiqué, après que les deux entreprises eurent participé à l'audience de la Commission du commerce international des États-Unis (ITC).

L'enquête du département du Commerce sera parallèle à celle que mène actuellement l'ITC.

Cette annonce a néanmoins semblé irriter la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui, par communiqué, a fait savoir que le «Canada examine ses approvisionnements militaires actuels liés Boeing».

Ottawa n'a pas fourni de précisions sur cette déclaration, mais laisse entendre que le processus visant l'achat de 18 Super Hornet - construits par Boeing - pour remplacer ses vieux chasseurs CF-18 pourrait être remis en question.

Boeing a réagi en soulignant le rôle joué par l'entreprise dans l'essor économique canadienne.

«Boeing attache une grande importance au Canada, tant à titre de client que de partenaire fournisseur. Notre relation d'affaires remonte à 1919. Boeing investit de sommes substantielles dans les secteurs commerciaux et militaires au Canada. (L'entreprise) compte des fournisseurs dans toutes les régions du pays, contribuant ainsi à la variété et à la richesse de l'industrie aérospatiale canadienne. Deux des plus récentes acquisitions du Canada dans le secteur militaire - le C-17 Globemaster (transporteur) et le CH-47 Chinook (hélicoptère) - ont été livrés à temps et/ou en avance», a déclaré Boieng dans un courriel transmis à La Presse canadienne.

Premier round

Devant l'ITC, Boeing a souhaité l'imposition de droits compensatoires sur les avions de Bombardier, alléguant que son rival québécois profite de subventions gouvernementales lui procurant un avantage indu à l'international.

Bombardier  a clairement fait part de son objectif de s'accaparer la moitié du marché international dans le secteur des avions de 100 à 150 places, a affirmé l'avionneur américain établi à Chicago, devant l'ITC.

Son vice-président, Raymond Conner, a déclaré que la vente de 75 CSeries à rabais à Delta Air Lines l'an dernier avait permis à Bombardier de se donner un élan sur ce marché.

Si l'entreprise québécoise devait atteindre cet objectif, a-t-il ajouté, cela pourrait éjecter Boeing de ce marché, privant du même coup l'entreprise de ventes annuelles estimées à 330 millions US.

«C'est un moment critique, a dit M. Conner devant le comité de sept personnes formé par l'ITC. Si vous ne réglez pas le problème maintenant, on ne pourra rien y faire plus tard.»

Les ventes de Boeing ont totalisé 94,6 milliards US l'an dernier. Les 330 millions US évoqués par M. Conner représentent près d'un tiers d'un pour cent du chiffre d'affaires annuel de la compagnie. En comparaison, Bombardier a généré des recettes de 16,3 milliards US l'an dernier, dont 9,9 milliards US en provenance de sa division aéronautique.

Pour sa part, l'avocat de Bombardier, Peter Lichtenbaum, a répliqué en affirmant que Boeing est un joueur mondial qui n'a pas vu ses ventes s'effriter à cause de Bombardier et que l'entreprise a un carnet de commandes «enviable».

«La plainte de Boeing dans ce cas-ci est sans précédent dans son dépassement, a-t-il dit. S'il s'agit d'un scénario qui oppose David à Goliath, Boeing a décroché le mauvais rôle.»

M. Lichtenbaum a affirmé que la CSeries était un avion plus petit que les Boeing 737-800 et Max 8 qui représentent près de la moitié des avions monocouloirs de Boeing.

Échaudé par la commande décrochée par Bombardier auprès de Delta l'an dernier, Boeing s'était tourné vers le département du Commerce et l'ITC le 27 avril pour demander une enquête sur les subventions ayant permis à son concurrent de vendre ses avions à des «prix dérisoires».

Une décision préliminaire, qui pourrait se traduire par l'imposition de droits compensatoires, est attendue d'ici le 12 juin. Boeing demande un droit compensatoire d'au moins 79,41 pour cent ainsi qu'un autre droit antidumping de 79,82 %.

Le constructeur américain allègue que Bombardier a reçu plus de 3 milliards US en subventions gouvernementales jusqu'à présent.

Devant l'ITC, les avocats de Boeing ont rappelé que Bombardier avait été sauvée par le gouvernement Couillard, qui a injecté 1 milliard US dans la CSeries contre une participation de 49,5 % dans le programme. Ils ont ajouté que Bombardier avait également cédé 30 % de sa division ferroviaire à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) pour 1,5 milliard US.

Le gouvernement Trudeau vient également de consentir un prêt de 372,5 millions pour la CSeries et l'avion d'affaires Global 7000.

Déplorant l'enquête du département du Commerce, la Caisse de dépôt - qui détient 53 millions d'actions de catégories A et B de Bombardier - a affirmé qu'elle comptait démontrer la «nature commerciale» de ses investissements dans l'entreprise.

«Les allégations visant la Caisse sont choquantes et sans fondement, a affirmé sa vice-présidente aux affaires juridiques, Kim Thomassin, par communiqué. Nous allons les réfuter tout en offrant notre pleine collaboration (...) pour clore ce dossier rapidement.»

Partenariat chinois?

Par ailleurs, Bombardier discuterait avec la société d'État chinoise Comac pour une éventuelle prise de participation dans la division des avions commerciaux de l'entreprise québécoise, selon le Financial Times.

Citant des sources, le média britannique affirme que les pourparlers ont débuté il y a déjà un certain temps, mais qu'une décision n'est pas imminente dans ce dossier. D'après le quotidien britannique, Comac aurait retenu les services d'au moins une banque en vue d'un éventuel investissement dans le programme de la CSeries.

Bombardier et Comac n'ont pas voulu commenter ces informations.