Le PDG de l'entreprise montréalaise de camionnage TFI International (anciennement TransForce) vient de toucher un « boni spécial » de 2 millions de dollars à la suite de la vente d'une filiale et s'apprête à toucher un autre boni spécial lié à une récente acquisition. Une pratique remise en question par des spécialistes de la gouvernance d'entreprises.

Alain Bédard, 63 ans, a touché une rémunération totale d'un peu plus de 11 millions US en 2016, une augmentation de plus de 20 % par rapport aux 8,9 millions US de l'année précédente. Cette hausse s'explique essentiellement par le boni spécial approuvé par le conseil d'administration, dont il est le président.

Une somme de 1,9 million US a été consentie à Alain Bédard « en reconnaissance de la transaction de vente réussie de Matrec, ayant créé de la valeur pour les actionnaires », peut-on lire dans la circulaire de direction publiée en fin de journée jeudi.

Chef des finances depuis deux ans, Greg Rumble a de son côté touché un boni spécial de 100 000 $ lié à la vente de Matrec.

Matrec est cette filiale spécialisée dans la collecte et le traitement de déchets que TFI a vendue 800 millions CAN l'an dernier. TFI avait acheté Matrec 10 ans plus tôt pour 108 millions (incluant la dette de 88 millions). Des actifs ont été greffés à Matrec au fil des ans avant que TFI ne la cède l'an dernier, générant ainsi un profit net de près de 500 millions.

Un boni spécial sera par ailleurs versé à Alain Bédard et Greg Rumble cette année relativement avec la récente acquisition de XPO Logistics. Les détails de ce boni ne seront toutefois connus que l'an prochain, lorsque la prochaine circulaire de direction sera publiée.

TransForce a fait l'acquisition, l'automne dernier, des activités nord-américaines de transport de lots complets de XPO pour 560 millions US. Cette acquisition ouvre l'accès au marché mexicain à TFI et fait en sorte que 50 % des revenus proviennent désormais des États-Unis.

DES QUESTIONS À L'ASSEMBLÉE, SUGGÈRE MICHEL NADEAU

L'attribution du « boni spécial » au patron de TFI génère quelques interrogations chez Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. « Les ventes et achats d'actifs ne font-ils pas partie des activités courantes des cadres ? », demande-t-il.

« Les actionnaires devraient demander au comité des ressources humaines lors de la prochaine assemblée pourquoi avoir été aussi généreux envers les dirigeants », dit l'ancien haut dirigeant de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

« Si chaque fois qu'on fait un bon coup, ça prend un boni spécial, il faut que la réciproque soit appliquée. Lorsque des actifs sont vendus à perte, il faut une baisse de rémunération. Mais je sais que ce n'est pas le cas », ajoute-t-il. 

L'ampleur du gain réalisé par l'entreprise (500 millions) permet de relativiser la somme versée à Alain Bédard, précise toutefois M. Nadeau.

L'expert en gouvernance de l'Université Concordia, Michel Magnan, remet aussi en question le boni spécial versé au patron. 

« C'est comme une double récompense car le PDG a déjà été récompensé avec les mécanismes de rémunération qui étaient en place. C'était son travail de gérer l'entreprise », dit le professeur en se questionnant pourquoi 2 millions et non pas 5, par exemple.

Par ailleurs, « un gain réalisé à la suite d'une vente ne veut pas nécessairement dire que ce fut une bonne transaction, car les actifs pourraient peut-être valoir davantage aujourd'hui s'ils n'avaient pas été vendus », ajoute M. Magnan.

RÉMUNÉRATION TOTALE DE 11 MILLIONS US

Concernant la rémunération totale d'Alain Bédard, qui augmente à plus de 11 millions US avec le boni spécial, Michel Nadeau trouve que ça fait beaucoup d'argent.

« Ça se trouve en territoire excessif. Onze millions, c'est le salaire du président d'une grande banque canadienne. C'est le débat sur la justice et sur ce qui est raisonnable. Le camionneur moyen de TransForce doit gagner environ 60 000 $ ou 70 000 $ par année. Est-ce raisonnable de donner au PDG de TransForce 200 fois le salaire moyen du camionneur ? Le PDG ajoute-t-il une telle valeur ? Les actionnaires doivent interroger la direction lors de l'assemblée annuelle. »

Le comité des ressources humaines et de la rémunération de TFI est présidé par Richard Guay, un ancien haut dirigeant de la Banque Laurentienne. Les deux autres membres du comité sont le président de l'Impact de Montréal, Joey Saputo, et André Bérard, ex-grand patron de la Banque Nationale.

La Presse a tenté d'obtenir des explications auprès de l'entreprise, mais les dirigeants et administrateurs n'étaient pas disponibles pour répondre à nos questions.

L'assemblée annuelle des actionnaires de TFI se déroulera à Toronto le 26 avril. La capitalisation boursière de l'entreprise, qui est la plus grande entreprise de camionnage au pays, est d'environ 2,9 milliards.