Quand le premier ministre se fait suppliant, puis que des concurrents d'une entreprise en grève font une sortie publique commune pour condamner les employés et appuyer la direction, c'est signe qu'un conflit de travail est la pointe de l'iceberg d'un malaise social.

La grève des pilotes d'Air France a entamé sa deuxième semaine, et les négociations stagnent toujours entre la direction et les syndicats, qui refusent la création d'une filiale à bas prix. Résultat: plus de la moitié des vols ont été annulés hier.

Cet important conflit de travail survient dans le contexte où le climat social et économique de la France est tendu, et où L'Exposition Air France, France Is in The Air vient de se terminer au Grand Palais.

Un soutien à Air France

Après le premier ministre Manuel Valls, même les dirigeants des autres compagnies aériennes françaises ont apporté leur soutien à la direction de leur concurrent dans une lettre parue hier dans Le Monde. «Le manque de compétitivité qui caractérise le tissu économique de notre pays est difficile à compenser pour les compagnies aériennes», écrivent les patrons de Chalair aviation, Corsair International, XL Airways, Aigle Azur et Air Caraïbes.

Selon eux, les compagnies aériennes étrangères «tirent parti de l'inadaptation chronique» de la France. Ils dénoncent le «jusqu'au-boutisme ravageur» des pilotes en grève. «Refuser par peur, conservatisme ou dogmatisme tout nouveau projet affaiblit le pavillon français et constitue un renoncement à notre avenir.»

Hier, le principal syndicat des pilotes a refusé la proposition de la direction de suspendre jusqu'en décembre l'imposant projet de Transavia Europe (estimé à 1 milliard d'euros), une future filiale dite low-cost d'Air France qui lui permettrait de faire concurrence à EasyJet ou Ryanair.

Selon le syndicat SNPL AF Alpa, qui a reconduit la grève jusqu'à vendredi, la France perdra des emplois au profit d'autres pays.

Le temps presse. Air France-KLM estime perdre entre 15 et 20 millions d'euros (de 21 à 28 millions CAN) chaque jour du conflit. Des médias français affirment que les pilotes en grève causeront le crash de la compagnie.

Le PDG Alexandre de Juniac est catégorique: la survie d'Air France dépend du projet de Transavia, qui, lui, ne peut se faire «aux conditions sociales» d'Air France.

Selon un expert interviewé par l'Agence France-Presse, «le low-cost représente aujourd'hui de 25 à 45% du trafic aérien en Europe, selon les pays».

La grève a déjà nui grandement à Air France-KLM. Si le conflit perdure jusqu'à vendredi, la facture de la grève pourrait totaliser entre 180 et 240 millions d'euros (entre 255 et 340 millions CAN).

Pour certains experts, le mal est fait. «Aucun doute, Air France a perdu pour l'éternité des milliers de clients d'affaires. C'est un impact qui dépasse de loin la perte d'exploitation de la grève», a écrit sur Twitter Stéphane Soumier, populaire journaliste économique de la chaîne économique de BFM Business.

Des Québécois à Paris

Pendant ce temps, des Québécois sont retenus à Paris. Mathieu Doyon a appris par courriel que son vol de dimanche pour Montréal était annulé. Après une heure d'attente au téléphone, il a pu obtenir une place à bord d'un vol Bruxelles-Montréal qui lui permettra de rentrer chez lui deux jours plus tard. «Trouver un hôtel n'a pas été évident», raconte-t-il.

Pour son prochain voyage en Europe, le Montréalais affirme qu'il y pensera deux fois avant de réserver un vol avec Air France. «Une chance que je n'avais pas d'urgence à Montréal. C'est surtout plate pour ma blonde et ma petite de deux ans et demi.»

L'artiste multidisciplinaire faisait un saut rapide à Paris après avoir présenté la pièce Petit Bonhomme en papier carbone (dont il signe la musique) au festival Le Chaînon manquant, dans l'ouest de la France. «Air France nous a demandé de garder nos factures. Il faudra voir ce qui nous sera remboursé.»

Air France prévoit pour aujourd'hui une légère augmentation du taux de vols assurés, de 41% à 48%. De son côté, le SNPL, le principal syndicat des pilotes, a invité ses membres à manifester en uniforme près de l'Assemblée nationale.