Aéroports de Montréal (ADM) et Air Canada avaient promis aux Montréalais l'avènement d'une plaque tournante avec le rapatriement des vols de passagers à Dorval en 1996. Pratiquement 20 ans plus tard, Dorval dessert surtout l'aéroport Pearson, à Toronto. Deux milliards ont été investis, or Dorval-Trudeau a glissé du deuxième au quatrième rang des aéroports du pays.

Le professeur Jacques Roy, un expert en logistique, a toujours avancé que la région faisait fausse route en se retranchant à Dorval. Les événements lui ont donné raison sur toute la ligne, croit-il aujourd'hui. «J'ai toujours pensé que ça ne valait pas la peine de consolider les vols, que ça allait coûter une fortune pour pas grand-chose», dit-il dans un entretien.

Montréal-Trudeau est aujourd'hui au 33e rang des aéroports nord-américains en termes d'achalandage, même si la région métropolitaine de Montréal est la 16e plus populeuse. Selon un décompte des vols sans escale, publié par la Communauté métropolitaine de Montréal, plus de 20% des vols hebdomadaires à partir de Montréal se faisaient vers Toronto l'hiver dernier, soit près de 400 vols par semaine.

M. Roy reconnaît sans peine que Montréal est choyée avec un nombre appréciable de vols directs internationaux, mais ceux-ci sont principalement occupés par des Québécois qui cherchent le soleil.

Plus grave, selon M. Roy, la situation de Dorval-Trudeau affaiblit les grappes industrielles de Montréal. «Les pharmaceutiques sont obligées de se déplacer de leur entrepôt au nord des pistes pour accéder aux avions, ça leur prend une quarantaine de minutes. Ce n'est pas l'idéal. Les produits pharmaceutiques sont sensibles au froid. Les gens de l'industrie s'en plaignent», soutient ce spécialiste, qui constate que l'industrie consolide la distribution à Toronto.

L'opinion de M. Roy est loin d'être partagée par tous. Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, est persuadé que Dorval a été le bon choix. «On a renversé la tendance. Il y a plus de vols internationaux qu'il y en avait. Il y a plus de passagers.»

Certes, l'accès à l'aérogare est toujours aussi chaotique, mais des problèmes d'accès auraient existé de toute façon pour Mirabel, dit-il, convaincu.

Quant aux répercussions négatives sur les industries phares de Montréal, M. Leblanc n'en a jamais rien entendu. «Je n'ai eu aucun appel concernant des entreprises qui auraient eu des enjeux sur leur fret à Dorval», dit-il. La Chambre désigne trois administrateurs au conseil d'ADM.

Nombre record de passagers

Dorval-Trudeau a accueilli 14 millions de passagers en 2013, un record. La croissance du trafic y a été supérieure qu'à Toronto et Vancouver, entre 2003 et 2013.

Les passagers en correspondance, principale raison de la consolidation orchestrée en 1996, sont passés de 522 000 à 2,2 millions, depuis 2002.

«Bruxelles et Genève sont deux marchés qui ne sont pas très bien servis, donne en exemple James Cherry, PDG d'ADM. Nous avons une bonne proportion du trafic sur ces deux vols qui sont des passagers en transit. Nous avons des gens qui quittent Los Angeles et passent par Montréal pour un vol pour Bruxelles.»

Autre matière à réjouissance, Montréal est maintenant connectée avec les plaques tournantes de Copa Airlines à Panama City, de Turkish Airlines à Istanbul et de Qatar Airways à Doha.

Néanmoins, l'insatisfaction est palpable en ville. Montréal n'offre aucune liaison régulière directe avec l'Asie (hormis Doha et Amman, en Jordanie), où sera concentrée à l'avenir la croissance. «Cette année, Air Canada a ajouté 14 vols par semaine au Japon, rien à partir de Montréal», déplore le conseiller municipal Marvin Rotrand.

M. Rotrand est à l'origine de la consultation publique de la Ville sur les moyens pour favoriser l'accroissement des vols directs internationaux, annoncée la semaine dernière. ADM entend d'ailleurs participer aux travaux.

«Certains élus pensent qu'ADM n'est pas assez agressive», fait savoir M. Rotrand, avant d'ajouter qu'il ne partage pas cette opinion. Satisfait du travail de l'autorité locale, M. Rotrand jette le blâme sur le fédéral. «Air China veut venir à Montréal, mais le gouvernement canadien demande que la Chine donne un droit d'atterrissage additionnel à un transporteur canadien», dit-il. Le dossier traîne.

L'entrée en piste du Dreamliner nourrit les espoirs

Pour M. Leblanc, de la Chambre de commerce, ce n'est qu'une question de temps avant que les Montréalais puissent voler sans escale jusqu'à Pékin. «L'avion Dreamliner est conçu de façon à ouvrir la grille des "hubs". Le modèle d'affaires vise à transporter sur de très longues distances de façon efficace moins de monde et ainsi permettre de rentabiliser des liaisons directes sans passer par les hubs. Ça favorise Montréal», explique-t-il. Air Canada a commencé à prendre possession de ses premiers Dreamliner cette année, d'une capacité d'environ 250 passagers.

N'empêche, il semble que les éventuelles avancées en Asie ne pèseront guère dans les statistiques de Dorval-Trudeau. ADM prévoit un taux de croissance annuel moyen de 2,3% des passagers au cours des 20 prochaines années. Un taux semblable à ce qu'a connu Dorval depuis 20 ans.

Ce taux correspond à la croissance attendue de l'économie locale, principal facteur expliquant la vitalité d'un aéroport, souligne M. Cherry.

«Est-ce que ça valait la peine de dépenser 2 milliards pour une croissance de 2%?», demande M. Roy.

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18 ans plus tard

Aéroports de Montréal a décidé en 1996 de concentrer le trafic à Dorval.

Investissements réalisés: 2,4 milliards

Offre de 130 vols directs comparativement à 84 en 2001

Hausse annuelle moyenne du trafic de 4,6% entre 2003 et 2013.

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POUR ET CONTRE

Le transfert des vols de passagers à Dorval a-t-il rempli ses promesses?

POINTS POSITIFS

Nombre record de passagers en 2013

Hausse de 55% des liaisons directes par rapport à 2002

Gain de 1,6 million de passagers en correspondance en 20 ans

Croissance assurée jusqu'en 2072

4000 emplois à Mirabel (avec le secteur industriel), plus qu'avant le transfert des vols

Économies de 15 millions par an

POINTS NÉGATIFS

Glissement du 2e au 4e rang des aéroports canadiens

Taux de croissance de 2 à 3% par an

Absence de liaisons directes vers les marchés porteurs d'Asie et d'Amérique du Sud

Accès déficients

Exode d'une partie de la clientèle vers les aéroports américains

Frais élevés aux usagers

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Des experts se prononcent

Quel bilan faites-vous de la décision prise en 1996 de consolider les vols réguliers de passagers à Dorval?

«Ce n'est peut-être pas un échec, mais Dorval obtient la note de passage, pas plus. Montréal ne pouvait pas redevenir le premier [aéroport au pays], mais on aurait pu être un bon deuxième.»

Mehran Ebrahimi, professeur à l'UQAM et directeur du Groupe d'étude en management des entreprises de l'aéronautique

«À partir de 2004, le nombre de passagers augmente considérablement et le nombre de mouvements d'appareils augmente jusqu'à la récession de 2008. Depuis, ça se rétablit au niveau des passagers.»

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui détient trois sièges au conseil d'administration d'ADM

«La situation aurait été bien pire si on avait gardé Mirabel ouvert. Le fait de consolider les vols à Dorval a donné un second souffle à Montréal.»

Marvin Rotrand, conseiller municipal de Coalition Montréal et initiateur de la consultation publique municipale sur l'accroissement des vols directs internationaux

«La situation est passée de catastrophique à acceptable. Montréal retrouve tranquillement une certaine fonction de plaque tournante de deuxième niveau pour l'Europe et les États-Unis, ce qui est cohérent avec la taille du marché.»

Mario Polèse, professeur d'économie urbaine à l'INRS - Centre Urbanisation Culture Société