Embraer a établi des liens étroits avec des fournisseurs du Québec, mais il n'est pas question de les forcer à établir une base au Brésil.

«Ce n'est pas notre rôle (d'attirer les investissements), nous ne sommes pas le gouvernement», a déclaré le grand patron d'Embraer, Frederico Fleury Curado, dans une entrevue exclusive à La Presse Affaires, accordée dans le cadre du congrès de la National Business Aviation Association (NBAA), qui se terminait hier à Las Vegas.

Plusieurs entreprises québécoises, des grandes comme des petites, sont des fournisseurs d'Embraer. Ainsi, Pratt & Whitney Canada propulse les biréacteurs d'affaires Phenom, Héroux-Devtek fabrique les trains d'atterrissage des Legacy 450 et 550, CMC Électronique fournit des organiseurs électroniques de vol et DCM fabrique de l'outillage pour l'avionneur brésilien.

«Lorsque votre premier ministre (Stephen Harper) est venu visiter le Brésil cet été, je lui ai rappelé qu'Embraer contribuait négativement à la balance commerciale entre le Brésil et le Canada, a indiqué M. Curado. Nous importons beaucoup plus du Canada que nous n'y exportons. Nous avons plusieurs fournisseurs, auprès de qui nous achetons des centaines de millions de dollars d'équipement.»

Les fournisseurs québécois n'auraient toutefois pas nécessairement avantage à s'installer au Brésil, à proximité d'Embraer.

«Dans notre industrie, il n'y a pas de taxes à l'importation de composants d'avion, a indiqué M. Curado. Cela favorise donc le flux de marchandises.»

En outre, les coûts de la main-d'oeuvre sont de plus en plus élevés au Brésil, en raison de la force du real vis-à-vis du dollar américain.

«Il y a des entreprises françaises, espagnoles et américaines qui se sont installées au Brésil, mais cela fait plusieurs années, a noté le président d'Embraer. Maintenant, la grande tendance, c'est le Mexique.»

Il a déclaré que, comme entreprise brésilienne, Embraer voyait évidemment d'un bon oeil les investissements de fournisseurs étrangers au Brésil.

«Mais il ne faudrait pas que cela soit au détriment des intérêts de nos fournisseurs, et de là, au détriment de nos propres affaires», a-t-il ajouté.

Ironiquement, Embraer ne se dirige pas vers le Mexique, mais vers les États-Unis. L'avionneur entend transférer progressivement le siège social de sa division d'avions d'affaires de San Jose del Campo, au Brésil, à Melbourne, en Floride.

L'entreprise a d'abord établi un centre de services et une chaîne de production du Phenom 100 à Melbourne, un investissement de 50 millions US. Elle prévoit employer 200 personnes à cet emplacement. Elle vient également de nommer un Gallois, Ernie Edwards, à la présidence de la division d'avions d'affaires. Il s'établira à Melbourne.

«J'ai toujours dit que nous devions être près des clients, a affirmé M. Curado. Or, les clients ne sont pas à San Jose, ils sont aux États-Unis.»

Il n'a pas peur de voir l'entreprise perdre sa touche brésilienne.

«Je nous vois comme une entreprise globale basée au Brésil», a-t-il déclaré.

Quant à l'établissement d'une base au Canada, il n'en est pas question pour l'instant.

«Avec l'état actuel du marché, je ne vois pas la nécessité de faire des investissements additionnels, mais on ne sait jamais», a-t-il laissé tomber.

Maintenant qu'Airbus et Boeing ont annoncé la remotorisation de l'A320 (le Neo) et du Boeing 737 (le Max), l'industrie aéronautique attend avec impatience de voir si Embraer lancera un appareil à fuselage étroit, qui pourrait entrer en concurrence avec la CSeries de Bombardier.

Embraer pourrait plutôt décider de revoir à fond sa famille actuelle, les E Jets.

«Nous nous approchons d'une décision, mais ça devrait prendre encore une couple de mois, a déclaré le président d'Embraer. Je présente plusieurs scénarios au conseil d'administration.»

Il a cependant refusé de dire qu'elle était sa préférence.

Le président de Bombardier Aéronautique, Guy Hachey, a déclaré qu'il ne serait pas surpris de voir Embraer aller de l'avant avec un projet.

«Ils font souvent la même chose que nous, mais plus tard, a-t-il indiqué au cours d'une entrevue avec La Presse Affaires. C'est une bonne entreprise, je suis certain qu'il vont arriver avec un bon produit.»

Il a souligné que la CSeries aura cependant une bonne longueur d'avance sur ses concurrents: elle devrait prendre son envol à la fin de 2013, alors qu'on parle de 2016-2017 pour le Neo, 2018 pour le Max, et un délai de cinq ou six ans pour un éventuel appareil d'Embraer.

M. Hachey s'est cependant interrogé sur la capacité financière d'Embraer de s'embarquer dans un projet nécessitant des investissements de plusieurs milliards de dollars.

«Embraer n'est pas aussi grosse que Bombardier, qui peut compter sur un secteur des transports, a-t-il déclaré. Ça leur occasionnerait un fardeau financier assez majeur.»

M. Curado ne semble pas inquiet à ce sujet.

«Nous avons un bilan très solide, a-t-il fait remarquer. Nous avons une très grande capacité pour emprunter, et nous pouvons même faire appel aux marchés des capitaux. Mais nous ne pensons pas aller dans cette dernière direction. Depuis l'année 2000, nous parvenons à croître avec les ressources que nous générons.»