Pendant que les banquiers américains poussent les hauts cris en voyant l'État débarquer dans leur bureau et sabrer leur salaire, leurs collègues canadiens, eux, s'engagent sur la voie de l'autoréglementation sous la pression de leurs actionnaires. Au moment où les banques du monde sont sous haute surveillance, portrait de deux réalités fort différentes.

Vous vous souvenez de Joe, le personnage qui faisait la promotion de la bière Molson Canadian?

Dans une publicité qui décochait quelques flèches plus ou moins subtiles aux Américains, l'homme se vantait de pouvoir afficher fièrement le drapeau de son pays sur son sac à dos. Joe croyait «à la diversité, pas à l'assimilation». Et, évidemment, il habitait «la première nation de hockey» de la planète.

S'il refaisait son discours aujourd'hui, Joe ajouterait sûrement que ses banquiers sont moins rebelles et plus disciplinés que ceux des États-Unis. Et en regardant les événements des dernières semaines, certains admettent qu'il aurait sans doute un peu raison.

Ceux qui le disent ne sont pas nécessairement les plus grands défenseurs des banques canadiennes. Louise Champoux-Paillé est administratrice au Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires-le MEDAC fondé par Yves Michaud, le Robin des banques lui-même. Même si elle dit ne pas connaître à fond le système américain, elle ne peut s'empêcher de noter la différence d'attitude des banquiers des deux côtés de la frontière. «Elles font certainement preuve de davantage d'écoute, il faut le voir, dit-elle en parlant des banques canadiennes. Elles auraient pu dire: on ne fait rien. Elles ont plutôt convenu de collaborer.» Ces commentaires font suite à deux événements récents qui illustrent le monde qui sépare les banques américaines et canadiennes. Le premier est survenu il y a dix jours, quand Wall Street a poussé les hauts cris en apprenant que Kenneth Feinberg, le «tsar du chèque de paie», sabrera de 90% les salaires des patrons des banques américaines qui ont été renflouées par le gouvernement pendant la crise financière. Au Canada, pendant ce temps, on apprenait que les plus grandes institutions financières du pays s'entendront pour faire voter leurs actionnaires sur la paie de leurs patrons. Et question de faciliter la vie aux actionnaires, les banques adopteront une formule commune (voir autre texte). Ce vote consultatif, aucune loi n'obligeait les banques à le tenir. Bref, par un curieux retour de balancier, le pays qui s'est toujours fait l'apôtre du libéralisme économique semble aujourd'hui réglementer à grands coups de lois, pendant que son voisin du nord laisse son secteur financier s'auto-réglementer sur plusieurs aspects... «Je crois que nous sommes en train de réaliser ici quelque chose qui n'a été fait nulle part ailleurs au monde», n'hésite pas à clamer dire Deborah Alexander, chef des affaires juridiques à la Banque Scotia. «En terme de bonne gouvernance, nous sommes devant eux», lance-t-elle encore en parlant des banquiers américains.

Entre législation et approche «volontaire»

Mais il y a évidemment des limites à comparer les banquiers américains à de mauvais garçons qui se font taper sur les doigts par leur gouvernement pendant que les bons élèves canadiens, eux, acceptent de plein gré de montrer leur bulletin à leurs actionnaires.

Michel Nadeau, directeur général de l'Institut pour la gouvernance des organisations publiques et privées, refuse d'ailleurs de jouer le jeu des comparaisons.

«C'est avant tout une différence de contexte», dit-il. Selon lui, si les banques canadiennes ont accepté de faire voter leurs actionnaires sur la rémunération des dirigeants, ce n'est pas par choix, mais bien parce que les groupes d'actionnaires leur ont mis assez de pression pour les faire plier.

Et si le gouvernement américain dit aujourd'hui aux banques quoi faire, c'est parce qu'il a volé à leur secours et en est aujourd'hui actionnaire, ce qui n'est pas le cas au Canada.

Il reste que plusieurs groupes de défense des actionnaires, dont le MEDAC, la Corporation canadienne pour la bonne gouvernance, les fonds communs Meritas et Shareholders Association for Research & Education (SHARE), de Vancouver, n'hésitent plus à lancer quelques fleurs aux banques canadiennes.

«L'une des raisons pour lesquelles nous avons ciblé les banques canadiennes au cours des dernières années, c'est qu'elles sont généralement des leaders très forts en bonne gouvernance», dit Gary Hawton, chef de la direction de Meritas, qui dit espérer qu'elles donnent maintenant l'exemple aux autres.

Les banques canadiennes collaborent-elles mieux que leurs homologues américains?

«C'est ma perception, dit aussi Gary Griggs, directeur principal de la Corporation canadienne pour la bonne gouvernance. Aux États-Unis, la relation est beaucoup plus basée sur la confrontation entre les actionnaires et les conseils d'administration.»

Question d'attitude? Ou de contexte? Ce qui est clair, c'est que les banques ont traversé la crise du crédit de façon bien différente de chaque côté de la frontière. Et tout indique qu'elles évoluent toujours dans deux univers parallèles en contexte de reprise économique.