Dans la foulée des scandales de corruption et de collusion qui ont ébranlé l'industrie de la construction, les grands donneurs d'ordres imposent de plus en plus d'exigences éthiques face à leurs fournisseurs. Pour aider ses membres à y répondre, l'Association de la construction du Québec (ACQ) a créé un programme d'intégrité qu'elle souhaite mettre en oeuvre dans l'ensemble de la province.

Dans un « livre blanc » qui sera rendu public aujourd'hui à l'occasion de son congrès annuel, l'ACQ soutient qu'« il est impératif de rehausser le professionnalisme des intervenants [du domaine de la construction] afin de remédier à un manque criant d'expertise, d'encadrement et de moyens [en matière d'éthique] ».

Depuis le début de 2013, les entreprises qui désirent décrocher des contrats publics d'une certaine envergure doivent obtenir une autorisation délivrée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui, avant de l'accorder, procède à des vérifications auprès de la police et d'organismes gouvernementaux comme Revenu Québec et la Commission de la construction.

Mais l'ACQ veut que les entreprises aillent plus loin. Son programme d'intégrité, élaboré en collaboration avec des spécialistes en éthique et en gouvernance, comporte 10 étapes dont l'identification des risques de malversations, la rédaction d'un code de conduite et la formation des employés. En tout, il faut près de six mois pour mettre en place le programme au sein d'une entreprise, mais l'ACQ assure qu'il est à la portée de toutes les firmes, y compris les plus petites.

« Dans le processus de l'AMF, la direction de l'entreprise remplit des documents, mais les employés ne sont pas vraiment dans le coup. », a dit Manon Bertrand, présidente de l'ACQ.

D'ici quelques mois, le programme s'accompagnera d'une ligne téléphonique qui permettra aux clients, aux employés et aux partenaires d'affaires d'une entreprise de construction de dénoncer des irrégularités.

Rallier l'industrie

Jusqu'ici, à peine six entreprises ont adhéré au programme dans le cadre d'un projet-pilote, mais l'ACQ veut accélérer le déploiement. « Tous les jours, on reçoit des appels d'entreprises qui veulent embarquer », relate Mme Bertrand. À ses yeux, le programme donne l'occasion aux entreprises de se démarquer dans un marché toujours plus concurrentiel. « Ceux qui n'adhéreront pas, ils devront se justifier, dit-elle. Quand tu es intègre, tu es fier de l'afficher. »

La prochaine étape est de mettre sur pied un organisme de certification indépendant pour donner toute la crédibilité nécessaire au programme. « On ne veut pas que ce soient des entrepreneurs qui certifient des entrepreneurs », précise Manon Bertrand. L'ACQ sollicite actuellement les grands donneurs d'ordres privés et publics pour les inciter à appuyer la création de l'organisme de certification et à participer à son financement.

« On va voir comment on peut intégrer le programme d'intégrité de l'ACQ à nos pratiques d'approvisionnement », affirme Pauline D'Amboise, secrétaire générale et vice-présidente à la gouvernance au Mouvement Desjardins, sans toutefois s'avancer sur une éventuelle contribution financière de la coopérative.

Pour l'instant, le programme est accessible aux 17 000 entreprises membres de l'ACQ, qui desservent les secteurs institutionnel, commercial et industriel. L'association souhaiterait toutefois qu'il devienne la référence dans l'industrie de la construction. Depuis le début de l'été, elle tente de convaincre le gouvernement, les sociétés d'État et les municipalités d'en tenir compte dans leurs appels d'offres.

Pour l'instant, l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ) préfère rester sur les lignes de côté. « Ça s'applique plus ou moins à notre réalité », affirme le porte-parole de l'ACRGTQ, Christian Croteau.

Trois exemples de mesures mises en place

Les donneurs d'ordres scrutent de plus en plus leurs fournisseurs. Voici des mesures mises en place par trois d'entre eux.



Mouvement Desjardins

En juin 2014, la coopérative financière a adopté un code de conduite à l'intention des fournisseurs. On y lit que «Desjardins attend de ses fournisseurs qu'ils mettent en place un programme de gouvernance qui doit comprendre des éléments comme l'éthique et une politique en matière de responsabilité sociale et environnementale». Parmi les autres entreprises québécoises ayant un code de conduite des fournisseurs, notons Bell Canada, Bombardier, Dollarama et Gaz Métro.

Hydro-Québec

Depuis 2012, Hydro-Québec s'est dotée d'un code de conduite des fournisseurs et a mené une campagne de sensibilisation auprès de son personnel-clé. La société d'État a aussi ouvert au public sa ligne Éthique (1 866 384-4783), qui permet de dénoncer les cas d'inconduite et qui était jusque-là réservée à ses employés. «Nous améliorons notre système chaque fois que nous le pouvons», dit Réal Laporte, président d'Hydro-Québec Équipement et services partagés.

Ville de Gatineau

Éclaboussée comme bien d'autres à la commission Charbonneau, la municipalité a resserré encore plus ses pratiques. On a recruté des professionnels de l'approvisionnement, accru la formation du personnel et des élus, en plus d'améliorer la détection des anomalies dans les soumissions. Enfin, tous les soumissionnaires doivent désormais signer une déclaration stipulant qu'ils n'ont pas recouru à la collusion, précise Lynda Gariépy, du service des Finances. La Société de transport de Laval utilise également un outil semblable: l'attestation d'intégrité.