Le gouvernement Couillard a fini par lancer officiellement sa stratégie maritime, lundi à Montréal, la décrivant comme l'un des piliers de sa stratégie de relance économique du Québec. Le coût de la stratégie est passé de 7 à 9 milliards $ depuis que le Parti libéral en parlait durant la dernière campagne électorale.

Le premier ministre Philippe Couillard fait le pari de convaincre l'entreprise privée d'investir 4 de ces 9 milliards $, dans des domaines aussi variés que le tourisme, la pêche, l'aquaculture, le transport de marchandises et, surtout, la création de deux pôles logistiques à Contrecoeur et Vaudreuil-Soulanges.

Ultimement, il prévoit que 30 000 emplois seront créés d'ici 2030. De ce nombre, 10 000 devraient être créés d'ici cinq ans, a précisé le premier ministre au cours d'une rencontre avec la presse dans le Vieux-Port de Montréal.

«Le Québec a une chance unique de s'établir comme la porte internationale de l'est de l'Amérique du Nord en matière de marchandises et en transit», a souligné le premier ministre du Québec.

Il a décrit l'économie maritime comme «le joyau caché de l'économie du Québec».

Plusieurs des mesures contenues dans cette stratégie maritime ont déjà été annoncées, voire ont été enclenchées, comme l'expansion de la capacité du port de Montréal. Autre exemple: dans le dernier budget provincial, Québec avait déjà annoncé 55 millions $ pour améliorer les terminaux de croisières à Montréal et Québec.

D'autres mesures, en matière de formation de la main-d'oeuvre pour les métiers reliés à l'industrie maritime, prendront bientôt forme.

De même, le ministre délégué aux Transports et à l'Implantation de la stratégie maritime, Jean D'Amour, a annoncé la création d'un Centre d'expertise spécialisé dans la prévention, la préparation et les interventions d'urgence environnementale aux déversements maritimes de matières dangereuses sur le Saint-Laurent. Ce centre sera situé aux Îles-de-la-Madeleine.

M. Couillard a d'ailleurs justifié la hausse des coûts de 7 à 9 milliards $ par «l'effet de levier» et «l'intérêt du milieu» pour sa stratégie maritime depuis qu'il a commencé à en parler. Il rapporte que dans ses missions à l'étranger, notamment, plusieurs entreprises s'intéressent vivement à cette stratégie, désireuses qu'elles sont d'investir dans le domaine au Québec.

La consultation menée avant le lancement officiel de la stratégie «a permis de valider l'intérêt du milieu, non seulement national, mais international également, pour cette stratégie-là. Déjà, il y a des entreprises qui se pressent et qui désirent savoir où, quand et comment investir, qui nous donnent leurs prérequis en termes d'accueil, notamment en infrastructures», a relaté le premier ministre.

La ministre du Tourisme, Dominique Vien, ne s'en est pas cachée: cette stratégie maritime représente «l'un des piliers de la relance économique du Québec» pour le gouvernement Couillard.

Une inconnue demeure, cependant: les discussions qui devront avoir cours avec le gouvernement fédéral, puisque les ports relèvent de sa compétence. Et le Québec n'est pas le seul à souhaiter être la porte d'entrée internationale de l'Est de l'Amérique du Nord, puisqu'il existe également un important port à Halifax.

Ottawa a d'ailleurs déjà annoncé des investissements pour favoriser l'expansion du port de Montréal, en janvier dernier, en expliquant que cela résultait de l'entente conclue entre le Canada et l'Union européenne et de l'accroissement des échanges qui doit en découler.

Le gouvernement fédéral avait alors annoncé l'octroi d'une somme de 43,7 millions $ pour un projet globalement évalué à 132 millions $. Le projet comprenait l'augmentation de la profondeur des ports d'amarrage, l'amélioration des accès maritimes au port et l'aménagement d'un terminal à conteneurs dans le secteur Viau.

Le ministre des Transports Robert Poéti a indiqué que pour le port de Montréal, le gouvernement du Québec se concentrera sur ses compétences, à savoir les accès routiers à l'est du port.

Le gouvernement Couillard avait prévu lancer sa stratégie maritime à Montréal le 2 juin dernier. Le lancement officiel avait toutefois été reporté à cause du décès de l'ancien premier ministre Jacques Parizeau.

Le gouvernement a visiblement voulu marquer l'importance pour lui du lancement officiel de cette stratégie, puisque pas moins de sept conférenciers ont pris la parole, en plus du premier ministre Couillard. Et des représentants patronaux avaient été invités, en plus de ceux des PME, des manufacturiers et exportateurs, du Fonds de solidarité, des municipalités et de l'opposition.

Réactions généralement favorables, sauf dans l'opposition

La stratégie maritime du gouvernement Couillard a été en général très bien accueillie, plusieurs y voyant au moins un message fort transmis au secteur privé et quant à l'importance de ce secteur de l'activité économique québécoise. Les voix discordantes sont venues principalement des partis d'opposition et des Premières Nations.

Présente au lancement officiel de la stratégie maritime, lundi à Montréal, la présidente de l'Union des municipalités du Québec, Suzanne Roy, a dit croire que plusieurs régions du Québec pourraient en bénéficier.

«Le fleuve passe dans une grande partie de nos régions; on va voir évidemment quand tout ça va se déployer sur l'ensemble du territoire québécois. Mais c'est clair que quand on pense au tourisme, déjà on le voyait dans les croisiers, plusieurs régions, comme la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine et le Saguenay, sont présentes. Et il va y avoir des investissements encore au niveau des infrastructures pour améliorer. Donc, il y a là des éléments qui sont porteurs», a-t-elle commenté en entrevue.

Le président et chef de la direction du Fonds de solidarité de la FTQ, Gaétan Morin, s'est dit prêt à investir même davantage que les 100 millions $ qui sont attendus du Fonds, si le besoin s'en fait sentir. «Notre volonté, c'est d'investir au moins 100 millions $ et la plus grande nouvelle serait d'en investir davantage dans la stratégie maritime. Ce sera un signe qu'il y a encore plus d'intérêt qu'on a pu se l'imaginer jusqu'à maintenant. Et j'en suis persuadé», a-t-il lancé.

Le Fonds de solidarité a déjà comme partenaires des entreprises de transport comme le Groupe Robert et la Société de terminaux Montréal Gateway «qui auront assurément beaucoup d'intérêt d'être associés à la stratégie maritime», a poursuivi M. Morin.

Du côté des entreprises, l'enthousiasme était évident.

À la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, qui représente des petites et moyennes entreprises, la porte-parole Martine Hébert était ravie. «C'est un signal intéressant que ça envoie. C'est un projet structurant pour le Québec. On en a besoin à l'heure actuelle au Qubéec. C'est un projet qui mise beaucoup sur le potentiel de plusieurs PME», a-t-elle souligné en entrevue.

À la Fédération des chambres de commerce du Québec, la présidente-directrice générale Françoise Bertrand estime aussi que cette stratégie sera de nature à «insuffler un dynamisme nouveau à l'économie» en profitant du contexte créé par les grands accords commerciaux, notamment. «Cette stratégie prévoit de multiples possibilités de maillages et de partenariats capables de générer des retombées dans plusieurs secteurs d'activités, et ce, partout au Québec», a-t-elle commenté.

Au Conseil du patronat du Québec également, on s'est réjoui. «Le gouvernement envoie un signal fort autour de la relance de l'économie maritime québécoise, en plus de proposer une vision au-delà de 2020 qui positionne le Québec comme un corridor commercial majeur en Amérique du Nord pour accéder aux marchés mondiaux», a commenté sa vice-présidente à la recherche, Norma Kozhaya.

Insatisfaits

Les voix discordantes sont venues des partis d'opposition, de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) et d'au moins un groupe de protection de la nature.

Au cours d'une rencontre avec la presse après les allocutions, la porte-parole péquiste pour ces dossiers, Martine Ouellet, a déploré le fait que l'attitude du gouvernement fédéral demeure une inconnue, alors que les ports relèvent de sa compétence, comme la voie maritime du Saint-Laurent.

«Aujourd'hui, on a de belles paroles, mais malheureusement, dans les actions, c'est tout le contraire qu'on observe. Oui, on est d'accord pour du développement économique relié au maritime - je pense qu'il y a beaucoup à faire -, mais on est en train de se rendre compte que tant les ports que la voie maritime, si on veut avoir une stratégie maritime complète, cohérente, et bien ça prend l'indépendance du Québec; ça prend les 45 milliards $ qu'on envoie à Ottawa.»

À la Coalition avenir Québec, le leader parlementaire François Bonnardel a qualifié la stratégie maritime de «projet sectoriel qui néglige certaines régions» pour se concentrer uniquement sur la desserte maritime du fleuve Saint-Laurent, contrairement au Projet Saint-Laurent de la CAQ, qui était plus ambitieux, a-t-il affirmé.

«De nombreuses régions sont carrément oubliées. Qu'est-ce que le gouvernement offre en Outaouais, en Beauce, en Abitibi, aux régions qui sont plus éloignées du fleuve?» a objecté M. Bonnardel.

Le chef de l'Assemblée des Premières Nations, Ghislain Picard, a dit tendre la main au gouvernement du Québec, mais exprime déjà un mécontentement certain face à ses choix.

«Rien n'y fait: stratégie maritime, Plan Nord, projets miniers ayant un impact direct sur les territoires non cédés des Premières Nations. Le gouvernement Couillard refuse de se rendre à l'évidence de réaliser qu'une relation de gouvernement à gouvernement ne se construit pas qu'avec des mots», a critiqué le chef Picard.

«Encore une fois, le gouvernement Couillard choisit d'ignorer les enjeux fondamentaux des Premières Nations que sont la cogestion et la conservation du territoire, la consultation et l'accommodement des Premières Nations et le partage des redevances. Encore une fois, le gouvernement Couillard choisit d'exclure plutôt que d'inclure», ajoute le chef Picard.

La Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec, a déploré le fait qu'au Québec, à peine 1 pour cent du milieu marin soit protégé, alors qu'en 2011, le gouvernement s'était engagé à en protéger 10 pour cent d'ici 2015.

La stratégie maritime qui vient d'être lancée «n'offre aucune garantie que les objectifs seront atteints; il s'agit plutôt d'un recul, puisque la date limite de 2015 a été reportée à 2020», a dénoncé Patrick Nadeau, directeur général de l'organisme.