Jacques L'Ecuyer, PDG du producteur de métaux spéciaux 5N Plus, aurait pu tout laisser tomber après un événement tragique dans sa vie, et alors que son entreprise traversait une période difficile. Deux ans plus tard, l'homme d'affaires montréalais, resté bien en selle, s'est confié à La Presse.

Cela faisait 10 ans que Jacques L'Ecuyer travaillait chez Noranda. Au tournant des années 2000, il a profité de la réorganisation de certaines activités de l'entreprise pour racheter des actifs avec trois collègues et ainsi jeter les bases de 5N Plus, qui produit aujourd'hui des métaux spéciaux comme le bismuth, le gallium et le tellure.

Le diplômé en génie métallurgique de Polytechnique et docteur en sciences des matériaux de l'Université Birmingham, en Angleterre, avait vu là une occasion dans le développement de produits à forte valeur ajoutée. Il est devenu entrepreneur et chef d'entreprise.

5N Plus est entrée en Bourse en 2007. Quatre ans plus tard, l'entreprise réalisait une transaction fondamentale. D'un coup, elle doublait sa taille et surtout diversifiait ses activités en réduisant sa dépendance à l'industrie de l'énergie solaire. L'acquisition de MCP, entreprise belge de 400 employés, permettait aussi à 5N Plus de devenir un leader mondial dans la production et la distribution de métaux spéciaux.

L'intégration de MCP a cependant été difficile. Pour un, la rentabilité n'était pas aussi bonne qu'espéré. Au même moment, des changements structurels importants et profonds dans le secteur solaire touchaient l'entreprise First Solar, l'un des principaux clients de 5N Plus. Et c'est sans compter que le niveau d'endettement et des stocks commençait à être problématique chez 5N Plus. Entre 2011 et 2012, la valeur boursière de 5N Plus a été divisée par cinq.

Peu après l'acquisition de MCP, les relations se sont envenimées entre 5N Plus et un groupe d'anciens actionnaires de MCP.

En décembre 2012, une semaine avant Noël, la situation a dégénéré au point que 5N Plus a déposé une poursuite contre d'anciens actionnaires de MCP pour non-respect des modalités de la convention d'acquisition.

Ce recours judiciaire n'était toutefois rien à côté de ce que Jacques L'Ecuyer allait apprendre cette journée-là. Au téléphone, on l'informe que sa femme, hospitalisée pour une dépression, manque à l'appel. Il apprendra un peu plus tard qu'elle a mis fin à ses jours.

L'attitude est déterminante

«Ce fut une rude épreuve et un véritable cauchemar pour moi, mes enfants et ma famille», confiera-t-il trois mois plus tard dans une téléconférence avec quelques analystes pour discuter des résultats de 5N Plus.

Au confluent d'un drame personnel et d'une période très délicate au travail, Jacques L'Ecuyer aurait pu perdre pied et tout laisser tomber. Au contraire, il est resté bien en selle.

«C'est arrivé juste avant Noël. Je tombais en vacances pour deux semaines aux Fêtes. Si j'avais eu à revenir au travail durant cette période, ç'aurait été très difficile pour moi de le faire. Le décès de mon épouse est une perte pénible et douloureuse et c'est le premier gros traumatisme ou drame que je vivais», dit Jacques L'Ecuyer.

Il a pu revenir travailler à temps partiel après les vacances de Noël.

«Mes deux enfants m'ont beaucoup aidé et c'est grâce à eux ainsi qu'au support de mes parents, amis et collègues que je me suis lancé dans le travail pour passer au travers de cette épreuve. L'attitude qu'on adopte dans ces moments difficiles est déterminante.»

Soutien et travail

Dans la conférence téléphonique de mars 2013, Jacques L'Ecuyer a pris un instant pour remercier tous ceux qui lui avaient offert du soutien et de la sympathie. Au cours de cet appel, tous les analystes qui ont pris la parole ont eu de bons mots à l'endroit de Jacques L'Ecuyer et démontré de l'empathie.

«C'est certainement louable qu'il ait pu rester en poste sans s'arrêter très longtemps, mais ça m'avait tout de même un peu étonné», dit aujourd'hui l'analyste Nick Agostino, de la Banque Laurentienne, qui connaît Jacques L'Ecuyer.

«Le fait que ses enfants soient grands et indépendants l'a sûrement aidé. Il faut aussi savoir que le travail qu'il occupe est exigeant. Certaines personnes ont besoin de prendre une pause pour faire un deuil. Pour d'autres, le travail les aide à passer au travers.»

Un travailleur passionné

Il faut dire que l'ardeur au travail, Jacques L'Ecuyer n'en manque pas. «C'est quelqu'un qui travaille extrêmement fort et qui n'est pas motivé par l'argent», dit Jean-François Calille, le banquier qui a piloté l'inscription en Bourse de 5N Plus en 2007.

«Jacques est quelqu'un de très terre-à-terre, ajoute-t-il. C'est un passionné doté de capacités intellectuelles supérieures.»

Jean-François Calille admet qu'au départ, il n'était pas convaincu que 5N Plus avait l'envergure et la taille pour aller en Bourse. Il a cependant changé d'avis et réalisé le potentiel de croissance en apprenant à connaître l'entreprise, son modèle d'affaires et son président.

«Mon opinion a changé à cause de Jacques en réalisant à quel point il est solide. C'est un excellent communicateur, ce qui est essentiel lors d'une entrée en Bourse afin que les investisseurs comprennent bien le message. C'est un des meilleurs, sinon le meilleur avec qui j'ai travaillé. Il est très transparent.»

Selon Jean-François Calille, l'élément déclencheur pour inscrire 5N Plus en Bourse a été le succès obtenu par le premier appel public à l'épargne de l'un des principaux clients de l'entreprise. First Solar venait tout juste de s'inscrire au NASDAQ et son action avait rapidement explosé.

«Je ne me serais cependant pas lancé dans l'aventure, n'eût été le modèle d'affaires de compagnie et les qualités de son PDG. C'est pour ces raisons que je me suis rallié à l'idée et que j'ai poussé le dossier de 5N Plus à l'interne à la Financière Banque Nationale.»

Un plan précis

Maintenant que les stocks se sont stabilisés et que le taux d'endettement a diminué de façon substantielle, Jacques L'Ecuyer a un plan bien précis pour 5N Plus et pense même à réaliser une autre acquisition. «On peut l'envisager l'an prochain, sinon au début de 2016», dit celui qui demeure le principal actionnaire de 5N Plus avec un peu moins de 20% des actions.

L'objectif du PDG de 54 ans est de quadrupler le bénéfice d'exploitation pour le faire passer à 150 millions de dollars d'ici cinq ans.

Pour y parvenir, 5N Plus entend notamment optimiser sa structure de coûts en améliorant le contrôle sur sa chaîne d'approvisionnement et développer de nouveaux produits à valeur ajoutée. Par exemple, Jacques L'Ecuyer a bon espoir de voir les poudres métalliques (marché lié aux imprimantes 3D) représenter une portion importante de la rentabilité future de 5N Plus.

«La compagnie se trouve au tout début d'une phase de croissance», a récemment commenté l'analyste MacMurray Whale, de la firme Cormark Securities.

Jacques L'Ecuyer, qui est régulièrement appelé à voyager à l'étranger, reste très occupé. Mais il compte tout de même trouver du temps éventuellement pour améliorer le quotidien des gens hospitalisés pour des raisons psychiatriques. Il réfléchit encore au moment et à la forme de cette contribution.

«Même si pour moi et mes enfants, la maladie mentale sera toujours associée à une tragédie, à la douleur et au chagrin, c'est aussi une cause dans laquelle j'ai l'intention de m'investir activement en hommage à ma défunte épouse que nous aimions profondément», avait-il indiqué l'an dernier.

5N Plus en bref

> Producteur de métaux spéciaux

> 750 employés

> 12 usines (Canada, Belgique, Angleterre, Allemagne, États-Unis, etc.)

> Environ 50% du chiffre d'affaires est généré en Europe

Deux défis:

> 1. Actuellement, près de 80% des coûts sont liés à l'achat de matières premières. Jacques L'Ecuyer aimerait que ce niveau soit abaissé à 50%.

> 2. Jacques L'Ecuyer veut que l'entreprise devienne plus intégrée. Cela veut dire acheter des matières premières plus dégradées ou se positionner dans le recyclage de certains métaux et même se rapprocher du secteur minier pour potentiellement se servir des sites d'enfouissement de résidus pour y puiser de la matière première.