Guy Laliberté n'a pas chômé au cours des deux dernières années. L'actionnaire principal et «guide créatif» du Cirque du Soleil a participé à fond au repositionnement stratégique de l'entreprise qu'il a fondée il y a 30 ans et qui a été frappée par une crise de croissance dans la foulée de la dernière récession mondiale.

«On est de retour en affaires et solides à part ça», laisse tomber Guy Laliberté dans son bureau du siège social international du Cirque du Soleil, dans l'arrondissement de Saint-Michel.

Le fondateur du Cirque accorde rarement des entrevues, mais quand il le fait, il prend le temps d'aller au fond des choses.

Durant près de deux heures lundi, il m'a expliqué en long et en large comment il entrevoyait les 30 prochaines années de la plus importante société mondiale des arts de la scène et comment, surtout, il s'est pleinement investi avec son équipe de direction pour réaliser le recentrage de l'entreprise.

«C'est ma plus importante implication au Cirque depuis que j'ai réalisé le rachat de la participation de Daniel Gauthier [en 2000]. Mais j'ai adoré ça, on a vraiment procédé à une révision en profondeur de nos activités et de notre fonctionnement. On a un plan d'affaires clair pour les 30 prochaines années.

«Ç'a été un travail exigeant, mais c'était nécessaire. On ne pouvait plus opérer comme on le faisait il y a 20 ans. La belle mer bleue n'existe plus», souligne Guy Laliberté.

En janvier 2013, le Cirque du Soleil - qui avait été jusque-là toujours nourri aux succès - a créé une certaine commotion en annonçant le licenciement de 400 des 2000 employés de son siège social montréalais.

Une annonce qui s'inscrivait dans la foulée de la fin prématurée en 2011-2012 de quatre spectacles du Cirque du Soleil: Zed à Tokyo, Zaya à Macao, Viva Elvis à Las Vegas et Iris à Los Angeles.

Guy Laliberté prend le temps d'expliquer le contexte particulier dans lequel s'est déroulée chacune de ces annulations. La seule erreur qu'il admet est celle de la création du spectacle Iris à Los Angeles qui relevait d'une mauvaise lecture du marché théâtral de la capitale mondiale du cinéma.

Un redressement s'imposait

Chose certaine, la crise de 2008-2009 a fait mal au Cirque du Soleil et elle est l'un des facteurs externes qui ont mené à la rationalisation de l'an dernier.

«Les journalistes ont affirmé l'an dernier que le Cirque du Soleil avait perdu de sa créativité et n'était plus dans le coup. Ç'a été dur psychologiquement pour nos employés. Mais il y a beaucoup de facteurs qui nous ont obligés à revoir nos façons de faire», explique le fondateur du Cirque.

La parité du dollar canadien avec le dollar américain a été un autre des facteurs qui ont contribué à la dégradation du bilan de l'entreprise. «Dans les années 2000, on réalisait 50 millions de profits avec le seul taux de change, nos revenus étant en dollars américains et nos dépenses, en dollars canadiens. On a perdu cet avantage à partir de 2008», relève Guy Laliberté.

En 2008, le Cirque du Soleil s'est adjoint des partenaires stratégiques lorsque deux fonds immobiliers de Dubaï ont pris une participation de 20% à son capital.

«Ils devaient construire des hôtels à Dubaï et à Vegas où l'on aurait eu des spectacles permanents. Mais les deux fonds ont fait faillite en 2008. On a perdu ces partenaires stratégiques», déplore l'entrepreneur, qui a racheté 50% des actions que ces fonds détenaient alors que des investisseurs financiers de Dubaï ont racheté l'autre part de 50%.

Chaque nouveau spectacle du Cirque coûte de 20 à 25 millions en frais de développement qui pouvaient être amortis sur la durée de vie des productions. Un changement aux règles comptables a obligé le Cirque à absorber immédiatement ces coûts de développement.

Voilà pour les facteurs externes. À l'interne, le Cirque manquait de cohésion alors que plusieurs décisions d'investissement étaient prises de façon indépendante. Plusieurs dirigeants s'occupaient de différents projets simultanément, ce qui diluait leur efficacité.

Un grand recentrage

«C'est en juin 2012 qu'on a fait le constat que les choses n'allaient pas. On a pris un an à ramasser l'information, à étudier nos façons de faire, à nettoyer tout ce qui n'était pas rentable. On a fait appel à des ressources externes pour valider nos diagnostics», révèle Guy Laliberté.

Mine de rien, en un an, le Cirque a réalisé des économies de 100 millions en exerçant un contrôle rigoureux de ses dépenses. «Ce n'était pas une job de comptables, mais d'opérateurs qui savent où ils s'en vont», précise-t-il.

En août 2013, toute la direction du Cirque a été convoquée pour ébaucher et assimiler le nouveau plan d'affaires. Une conférence stratégique au cours de laquelle on a confirmé le repositionnement du Cirque du Soleil.

«On était éparpillés. Il fallait protéger nos marchés et le coeur de l'entreprise qui est la production de spectacles pour chapiteaux. On fait face à un marché plus concurrentiel, saturé», expose Guy Laliberté.

Une nouvelle structure a été adoptée. Le Groupe Cirque du Soleil a été créé et est maintenant le conglomérat qui chapeaute les activités du Cirque et la dizaine de divisions qui vont être gérées de façon indépendante.

Le Cirque du Soleil, qui comptait jusqu'à 25 spectacles diffusés simultanément, en a présentement 19 à l'affiche. Plutôt que de produire deux ou trois nouveaux spectacles par année, on va en réaliser l'équivalent d'un et demi tous les deux ans.

«Je suis bien avec mon petit Cirque. Nos revenus annuels sont passés de 1 milliard à 750 millions, mais nos profits d'exploitation sont plus élevés qu'à l'époque», souligne fièrement Guy Laliberté.

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LE GROUPE CIRQUE DU SOLEIL

En 2014

> Part des revenus provenant des spectacles: 85%

> Part des revenus provenant des divisions: 15%

En 2021

> Part des revenus provenant des spectacles: 50%

> Part des revenus provenant des divisions: 50%

La valeur du Cirque du Soleil en 2014:

> Entre 1,5 et 2,0 milliards US

La valeur du Cirque du Soleil en 2019:

> Entre 3 et 4 milliards US (estimations de Guy Laliberté)