La candidature de Pierre Karl Péladeau pose de nombreuses questions d'éthique. Il n'est cependant ni le premier chef de grande entreprise, ni même le premier empereur médiatique à se lancer en politique active.

Au Canada

> Paul Martin

Avant son arrivée en politique avec le Parti libéral du Canada, l'ancien premier ministre et ministre des Finances Paul Martin était à la tête de Canada Steamship Lines (CSL), une entreprise de transport maritime.

À son entrée en poste comme ministre des Finances, M. Martin a obligatoirement dû céder ses actifs à un gestionnaire indépendant, sans droit de regard.

Toutefois, M. Martin était, semble-t-il, fréquemment informé des changements chez CSL, ce qui lui a valu plusieurs critiques.

L'utilisation par CSL de filiales établies dans des paradis fiscaux et son obtention de plusieurs contrats gouvernementaux ont aussi causé des ennuis à l'homme d'affaires devenu politicien.

M. Martin a fini par céder le contrôle de CSL à ses trois fils lorsqu'il s'est engagé dans la course à la direction de son parti. Même par après, il a dû se retirer à maintes reprises du Conseil des ministres lorsqu'il y était question notamment de transport maritime ou de la Voie maritime du Saint-Laurent.

> Pierre Arcand

Le candidat libéral Pierre Arcand, actif dans le milieu de la radio avant son entrée en politique en 2007, a pour sa part raconté hier avoir rapidement dû vendre ses actions.

> Belinda Stronach

Belinda Stronach est une autre ancienne libérale, d'abord élue sous la bannière conservatrice, à avoir raté quelques passages des Conseils des ministres. La ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, ancienne présidente et chef de la direction de Magna, s'était déclarée bénéficiaire potentielle de la richissime fondation familiale.

Elle ne pouvait notamment pas se mêler de discussions touchant les secteurs automobile ou de l'acier.

Ailleurs dans le monde

> Michael Bloomberg

Maire de New York de 2001 à 2013, Michael Bloomberg était l'un des hommes les plus riches des États-Unis au moment de son entrée en politique. Il aurait lui-même investi 73 millions US dans sa propre première campagne électorale.

À son entrée en poste, il a refusé de placer sa participation de 72% de Bloomberg LP, son entreprise de données et de nouvelles financières, entre les mains d'une fiducie sans droit de regard.

Le comité des conflits d'intérêts de la Ville l'a cependant enjoint à se récuser de la gestion quotidienne de l'entreprise. Il lui était quand même permis de discuter de la vente de cet actif.

Cette vente n'est jamais survenue. Selon Forbes, il est maintenant propriétaire de 88% de Bloomberg LP et le 16e homme le plus riche du monde, avec une fortune de 33 milliards US.

> Silvio Berlusconi

L'ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi, qui contrôlait notamment trois réseaux de télévision nationaux, ne s'est pour sa part jamais distancé de ses actifs au cours de ses trois mandats totalisant neuf ans de pouvoir. Cela lui a valu de nombreuses remontrances, au point où des organismes comme Reporters sans frontières ont maintes fois décrié la faible liberté de la presse italienne.

> Serge Dassault

En France, le sénateur élu Serge Dassault est un multimilliardaire ayant fait fortune dans l'armement et l'aéronautique, tout en assumant pendant plusieurs années la mairie de Corbeil-Essonnes. Il est aussi propriétaire unique d'un groupe médiatique comprenant notamment Le Figaro.

Les fiducies sans droit de regard: les règles

Tant les gouvernements du Québec que ceux du Canada prévoient l'utilisation d'une fiducie sans droit de regard pour les cas où un élu, particulièrement un ministre, est détenteur d'actions dans une entreprise.

Au Québec, une note d'information sur le sujet mise à jour le mois dernier par le Commissaire à l'éthique et à la déontologie impose comme première condition que le fiduciaire soit indépendant.

«Les conjoints, les enfants à charge ainsi que les autres membres de la famille et les amis du député ne peuvent pas accepter la responsabilité de fiduciaire ou de mandataire.»

L'élu doit en outre «s'assurer que cette personne dispose de tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de cette responsabilité, comme si elle était propriétaire des actifs». Cela semble contredire la volonté de M. Péladeau de transmettre des consignes pour que ses actions de Québecor ne soient pas vendues.

Les directives du Commissaire interdisent aussi la transmission directe ou indirecte de toute consigne. L'élu ne peut recevoir que quelques informations, notamment celles nécessaires à l'écriture de sa déclaration de revenus.

Compte tenu de l'importance et de la visibilité de Québecor, il semble toutefois illusoire de croire que le fiduciaire pourrait liquider les actifs de M. Péladeau sans que cela ne parvienne à ses oreilles.