En achetant WSP, une firme d'ingénierie britannique deux fois plus imposante qu'elle, Genivar a réalisé une transaction qui transforme l'entreprise. Mais elle a transféré à Montréal le centre de décision de la nouvelle entité.

À première vue, bien peu de choses ont changé au siège social de WSP, en plein coeur de Londres, depuis que Genivar a acquis la firme britannique, il y a un peu plus d'un an.

Dans le hall d'entrée, rien n'indique que WSP a changé de mains. Ce n'est qu'en se rendant à l'un des étages supérieurs qu'on finit par tomber sur un dépliant qui fait état de la transaction de 440 millions.

Partout, le nom et le logo de WSP sont demeurés en place. Cela se comprend facilement: WSP est une marque beaucoup plus connue que Genivar à l'étranger. D'ailleurs, l'entreprise québécoise l'adoptera à partir de l'an prochain, et abandonnera du coup un nom entaché par les problèmes d'éthique des dernières années.

Même si l'uniformisation du nom de l'entreprise n'est pas encore chose faite, l'intégration s'est déroulée à la vitesse grand V. «Cette acquisition est pas mal digérée, assure le PDG de Genivar, Pierre Shoiry, en entrevue à La Presse Affaires. On a déjà commencé à regarder d'autres occasions d'acquisitions.»

Il y a quelques mois, Genivar a fait une offre pour une firme suédoise, en vain. Qu'à cela ne tienne: l'entreprise montréalaise suit de près les possibilités aux États-Unis et dans l'Ouest canadien.

Il est toutefois peu probable que la prochaine transaction soit aussi «transformationnelle» que l'a été l'achat de WSP, qui a fait tripler la taille de Genivar. «C'est une firme qui est présente dans 35 pays, ça nous a permis de diversifier nos revenus», dit M. Shoiry. Dans le classement des plus importantes firmes de génie-conseil du monde, Genivar a fait un bond spectaculaire, passant du 60e au 17e rang. SNC-Lavalin est en 7e place.

Les salariés britanniques assurent n'avoir ressenti aucune amertume de voir WSP passer sous contrôle étranger. «Nous étions prêts pour cette nouvelle étape», affirme Tom Smith, directeur de la croissance mondiale. Il faut dire qu'aucun ingénieur n'a perdu son emploi à la suite de la transaction, car les deux entreprises ne sont pas actives dans les mêmes pays.

Par contre, une vingtaine d'employés administratifs ont été licenciés à Londres. Leur travail est maintenant fait par huit nouveaux salariés à Montréal. «C'est là qu'on se rend compte que les sièges sociaux, c'est important, souligne Pierre Shoiry. WSP était cotée à la Bourse de Londres, alors elle faisait vivre les comptables et les avocats locaux.»

Le principal défi de l'intégration était de faire travailler ensemble les gestionnaires et les salariés des deux entreprises. «Le grand changement, c'est qu'on travaille maintenant avec des collègues issus de plus de 30 cultures différentes, note M. Shoiry. Il faut comprendre que les gens ne penseront pas nécessairement comme nous. Mais nos gens s'adaptent très bien jusqu'à maintenant.»

À Londres, le manque d'expérience internationale de Genivar a parfois fait sourciller. «Certains des employés du siège social de Montréal n'étaient pas toujours à la hauteur pour une organisation mondiale. Il y a donc eu des hauts et des bas, mais tout a fini par se régler grâce à la communication», note Paul Dollin, directeur de WSP pour le Royaume-Uni, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Inde.

Selon Pierre Shoiry, le côté pragmatique des Québécois a aidé à éviter bien des conflits. «Nous ne sommes pas des gens qui imposent leurs façons de faire, explique-t-il. Les gens aiment le fait que ce n'est pas cérémonial, que ce n'est pas hiérarchisé.»

En matière de finances, c'est Montréal qui montre la voie à suivre. Avant la transaction, les marges bénéficiaires de Genivar étaient d'environ 15%, soit plus du double de celles de WSP. «Nous avons demandé à nos collègues canadiens: comment arrivez-vous à faire cela?», confie M. Dollin. La marge de l'entreprise regroupée est aujourd'hui de 10% et l'objectif est de la porter à au moins 11% en 2015.

250 collaborations

Malgré les différences culturelles, les échanges ont été fructueux sur le plan technique. Au cours de la dernière année, WSP et Genivar ont travaillé ensemble sur plus de 250 projets et décroché une trentaine de contrats, d'une valeur totale de 70 millions, grâce à la collaboration d'employés des deux firmes.

Par exemple, Genivar a obtenu un mandat pour le projet de train léger d'Ottawa grâce à la contribution des experts ferroviaires de WSP en Europe. Inversement, le bureau de Genivar à Atlanta a aidé WSP à remporter un contrat lié au nouveau stade des Falcons. Et grâce au savoir-faire de WSP en matière de bâtiments industriels, Genivar a pu servir un de ses clients québécois qui avait besoin d'un coup de pouce au Bangladesh dans la foulée du tragique effondrement d'un immeuble d'ateliers textiles, en avril.

Genivar n'entend pas s'arrêter là. Étant donné qu'Ericsson est un important client de WSP en Suède, Genivar espère être choisie pour l'investissement de 1 milliard que le géant des télécommunications vient d'annoncer à Vaudreuil-Dorion. De plus, la firme de génie mettra à contribution le centre d'excellence de WSP en Finlande pour tenter de décrocher le contrat du nouveau pont Champlain. Enfin, Genivar veut accroître sa présence sur le marché torontois en tirant parti du leadership mondial de WSP en matière de gratte-ciel.

Genivar veut par ailleurs persuader ses grands clients au Canada - Rio Tinto, BHP Billiton et Starbucks Coffee, notamment - de faire affaire avec elle dans d'autres pays. C'est la recette WSP: au cours des dernières années, la firme britannique a convaincu des géants comme le détaillant IKEA, la banque Goldman Sachs et le brasseur SAB Miller de lui confier des mandats partout dans le monde.

En 2012, les clients «mondiaux», c'est-à-dire ceux qui font appel aux services de Genivar-WSP dans au moins trois pays, ont généré des revenus de 70 millions, soit 5% du chiffre d'affaires total. L'entreprise regroupée vise 10% en 2015, ce qui représenterait des revenus de 230 millions.

«Nous rappelons constamment à nos collègues qu'ils doivent penser de façon mondiale», résume Tom Smith.

«On a profité d'une occasion qui s'est présentée»

L'une des raisons pour lesquelles Pierre Shoiry est si fier de l'achat de WSP, c'est qu'une telle transaction serait probablement impossible pour Genivar aujourd'hui.

«Quand je regarde les concurrents de WSP à la Bourse de Londres, ça ne serait pas faisable, affirme-t-il. On a vraiment profité d'une occasion qui s'est présentée.»

En un an, le cours des actions de firmes de génie londoniennes comme Atkins, Hyder Consulting et Waterman a grimpé de 18 à 70% à la faveur de la reprise économique au Royaume-Uni. On peut facilement imaginer que le titre de WSP aurait eu un parcours semblable, ce qui aurait placé une transaction hors de la portée de Genivar.

M. Shoiry ne tarit pas d'éloges à l'endroit de la Caisse de dépôt et placement et de l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada, qui ont joué un rôle essentiel dans la transaction.

À la fin de 2011, la Caisse et l'Office ont investi 80 millions chacun dans le capital-actions de Genivar. Un an plus tôt, l'entreprise avait préparé un ambitieux plan de croissance internationale et avait sollicité la participation des deux investisseurs institutionnels. Ça tombait bien: le plan de Genivar touchait directement l'un de leurs secteurs de prédilection, les infrastructures.

Quand la possibilité d'acquérir WSP s'est présentée, au printemps 2012, la Caisse et l'Office ont remis la main dans leurs poches, achetant chacun pour 98,5 millions de dollars d'actions de Genivar.

«Ces deux actionnaires ont donné beaucoup de crédibilité à notre firme, relève Pierre Shoiry. C'était important parce que WSP cherchait des partenaires sérieux à long terme.»

Avec leurs investissements massifs, les deux institutions ont obtenu le droit de nommer chacune un membre au C.A. de Genivar. L'Office vient de s'en prévaloir. Mais au lieu de nommer l'un de ses propres dirigeants, le fonds fédéral a embauché un chasseur de têtes et a déniché la Danoise Birgit Nørgaard, ancienne chef de l'exploitation de Grontmij, troisième firme de génie-conseil de l'Europe.

«On se considère comme chanceux d'avoir la Caisse et l'Office avec nous, dit M. Shoiry. On apprécie beaucoup leur contribution.»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Pour l'achat de WSP, le PDG de Genivar, Pierre Shoiry, a pu compter sur l'appui de la Caisse de dépôt et de l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada.

Dons politiques illicites: le verdict attendu

Genivar a mis la main sur WSP quelques mois à peine avant que l'entreprise admette avoir participé à un stratagème qui a permis de verser illégalement plus d'un demi-million à des partis politiques au moyen de fausses factures.

«C'est certain que c'est une distraction, surtout que ça se passe chez nous, reconnaît Pierre Shoiry. Si la même situation se passait dans un autre pays, il faudrait s'en occuper quand même, faire tout ce qu'on fait [pour corriger la situation], mais ça n'aurait pas le même impact. Les grandes firmes américaines qui ont des filiales au Québec, elles n'en parlent même pas. Mais il faut garder le cap. On a un plan, il faut le mettre en oeuvre.»

Même avant que l'affaire des dons politiques illicites ne soit rendue publique, en mars, les soupçons étaient nombreux à l'endroit de Genivar et des autres firmes de génie-conseil. Mais ces rumeurs ne se sont pas vraiment rendues jusqu'à Londres.

«Au moment de la transaction [à l'été 2012], je ne pense pas que nous étions au courant», indique Paul Dollin, directeur de WSP pour le Royaume-Uni, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Inde.

«Quand nous avons su ce qui s'était passé, nous avons vu ça comme un rappel très à propos de l'importance de ne pas s'écarter des plus hautes normes d'éthique», ajoute-t-il.

Rappelons qu'au printemps, Genivar a resserré son code de conduite et nommé un responsable de l'éthique, Louis-Martin Richer.

Chez WSP, on a pris des mesures parfois radicales pour minimiser les risques de corruption. «En Inde, par exemple, nous ne travaillons qu'avec le secteur privé parce que, contrairement au secteur public, il n'est généralement pas corrompu», explique M. Dollin.

À l'instar des autres firmes d'ingénierie québécoises, Genivar attend le verdict de l'Autorité des marchés financiers et espère éviter le sort de Dessau, qui a été exclue des contrats publics pour cinq ans.

«On a une belle entreprise et je pense que c'est normal qu'on veuille avoir l'approbation pour pouvoir travailler chez nous, affirme M. Shoiry. Si on ne peut pas travailler chez nous, ça va être difficile de travailler ailleurs.»

Genivar en chiffres

Avant la transaction (2011)

Revenus: 529 millions

Profits nets: 50 millions

Employés: 5500

Aujourd'hui (prévisions pour 2013)

Revenus: 1,7 milliard

Profits nets: 86 millions

Employés: 15 000