En fixant les tarifs d'électricité à la place de la Régie de l'énergie, comme il a décidé de le faire pour atteindre sa cible de réduction du déficit, le gouvernement Marois risque fort d'attirer des ennuis à Hydro-Québec sur le marché américain.

C'est ce que croient plusieurs spécialistes du monde de l'énergie, y compris un ancien dirigeant d'Hydro-Québec. «Les risques pour le gouvernement de voir Hydro-Québec perdre l'accès aux marchés d'exportation le jour et aux marchés d'importation la nuit sont importants», estime ce dernier.

Ce changement des règles du jeu ne se fera pas non plus à coût nul pour les consommateurs, comme l'avait assuré le gouvernement. Hydro-Québec vient d'annoncer à la Régie de l'énergie que la hausse de tarifs qu'elle avait demandée en juillet ne sera pas suffisante pour répondre aux exigences de profit du gouvernement. Plutôt que 2,9%, c'est donc 3,3% que veut la société d'État à partir du 1er avril 2013.

«C'est en contradiction avec ce qui avait été annoncé dans le budget», a déploré Luc Boulanger, porte-parole de l'Association québécoise des consommateurs industriels d'électricité, qui regroupe les alumineries et les autres grands consommateurs d'énergie. Dans le budget du 20 novembre, le gouvernement affirmait que l'augmentation des bénéfices que réalisera Hydro-Québec se fera à coût nul pour les consommateurs d'électricité.

Luc Boulanger estime que le gouvernement s'est mis dans une situation extrêmement difficile en intervenant dans le fonctionnement de la Régie de l'énergie, un organisme indépendant créé justement pour mettre les tarifs d'électricité à l'abri des décisions politiques.

La création de la Régie de l'énergie, ainsi que de la division d'Hydro-Québec en trois entités administratives - soit Production, Distribution et Transport - découlent directement des conditions imposées par la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), qui régit le marché de l'énergie aux États-Unis, pour ouvrir le marché américain à Hydro-Québec, rappellent ceux qui suivent de près ce dossier.

«Ce que la FERC veut, c'est un accès ouvert et des tarifs justes et raisonnables», explique Philip Raphals, spécialiste en énergie et président du Centre Hélios. Si les tarifs sont maintenant fixés par décret, c'est certainement un sujet d'intérêt pour la FERC, selon lui.

Au moyen d'un décret adopté la semaine dernière, qui revient à fixer les tarifs des services de distribution et de transport d'électricité, le gouvernement se substitue à la Régie de l'énergie, dont c'est le mandat depuis 1998.

«Ce qui est en cause, c'est l'indépendance de la Régie», estime Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste en énergie.

Selon lui, si le gouvernement change les règles du jeu, c'est bien possible qu'il attire l'attention de la FERC, qui pourrait réagir en retirant ou suspendant les permis qui permettent à Hydro-Québec de vendre son énergie aux États-Unis. «Ce serait catastrophique», estime-t-il.

Philips Raphals, pour sa part, croit que le gouvernement de Terre-Neuve pourrait bien alerter la FERC, lui qui s'est vu refuser l'accès au réseau de transport d'Hydro-Québec pour exporter aux États-Unis l'électricité de son projet du Bas-Churchill. La Régie de l'énergie a aussi repoussé toutes les plaintes de Terre-Neuve, qui attend maintenant de faire entendre ses arguments en Cour supérieure quelque part en 2013.

«Toute la question de l'accès égal pour tous les concurrents au réseau de transport d'Hydro-Québec, c'est majeur pour la FERC», dit Philip Raphals.

Le gouvernement de Jean Charest voulait lui aussi retirer plus d'argent des coffres d'Hydro-Québec, mais il avait réussi à ne pas entraver le travail de la Régie de l'énergie en annonçant une hausse de tarif du bloc patrimonial. La Régie aurait considéré cette hausse comme une augmentation des coûts d'approvisionnement de la division Distribution, qui doivent nécessairement être inclus dans les coûts de service qui servent de base à l'établissement des tarifs d'électricité.

LES DÉCISIONS DE LA RÉGIE DE L'ÉNERGIE

Demande d'Hydro Décision

2009 2,2% 1,2%

2010 0,5% 0,4%

2011 0 -0,4%

2012 1,7% -0,5%

2013 3,3% ?