En 21 ans comme grand patron de Disney, Michael Eisner s'est payé un empire du petit écran (ABC), un studio de cinéma grand public (Miramax) et une équipe de la LNH (les Ducks d'Anaheim), mais il n'a jamais réussi à mettre la main sur la PME québécoise qu'il a ardemment convoitée durant une décennie: le Cirque du Soleil.

Séduit par un spectacle du Cirque à Los Angeles en 1987, l'un des hommes les plus puissants de Hollywood décide alors d'acheter l'entreprise québécoise.

«Disney stagnait et je voulais amener les gens du Cirque à bord pour qu'ils communiquent leur créativité à Disney», dit Michael Eisner en entrevue à La Presse Affaires.

Pour le grand patron de Disney, l'affaire est classée. À sa surprise, la première offre, relayée par un cadre chez Disney, est refusée par Guy Laliberté. Puis la deuxième. Puis la troisième.

«En lisant les journaux, je savais pourtant que les finances du Cirque étaient en difficulté», dit M. Eisner. La cour durera une décennie. Puis Michael Eisner rencontre finalement Guy Laliberté - et comprend que Disney ne deviendra jamais propriétaire du Cirque.

«Mais 20 minutes plus tard, nous faisions un projet ensemble, dit M. Eisner. Certains de mes gens chez Disney voulaient avoir le contrôle sur certains aspects du spectacle, mais je leur ai répondu que c'est plutôt le Cirque qui devrait nous contrôler...»

Trois décennies plus tard, Michael Eisner ne regrette rien de ce projet d'acquisition avorté, que Guy Laliberté a commenté mercredi soir lors de la conférence du Cirque à C2-MTL devant un Michael Eisner amusé.

«Le Cirque aurait été un succès comme division de Disney, mais je ne suis pas sûr que Guy serait resté dans un environnement d'entreprise comme celui de Disney, dit Michael Eisner. Guy, c'est une âme libre. De toute façon, ce qui compte en affaires, ce sont les transactions que vous réalisez, pas celles que vous auriez pu réaliser.»

À ce chapitre, Michael Eisner a l'un des CV les mieux garnis aux États-Unis. Nommé PDG de Disney à 42 ans en 1984, il a modernisé l'entreprise en achetant un studio de cinéma plus grand public (Miramax) et des stations de télé (ABC).

L'innovation - le thème de la conférence C2-MTL auquel il participait hier - a toujours été au coeur de son plan de match en affaires.

«Je m'intéresse aux nouvelles façons de raconter des histoires, de faire rire, de faire pleurer, dit-il. Une nouvelle technologie, c'est un juste un gadget jusqu'à ce qu'elle raconte une histoire.»

L'innovation prend parfois une drôle de forme à Hollywood, qui préfère souvent miser sur des valeurs sûres (traduction: une avalanche de suites mais peu de scénarios originaux).

«Ce phénomène existe depuis 25 000 ans avant J.-C.! Quand une personne faisait un beau dessin sur une cave, une autre personne tentait de reproduire la même chose. Le truc, c'est d'être le premier à trouver la bonne histoire, le bon concept.»

Aussi innovateur soit-il, Michael Eisner - et son style de gestion autoritaire - accumule les détracteurs chez Disney avec les années. Si bien qu'au début des années 2000, Roy E. Disney, le neveu du fondateur, veut la tête du PDG. Il l'aura en 2005, un an après que Michael Eisner eut été incapable de s'entendre avec Steve Jobs pour renouveler l'entente de distribution des films d'animation de Pixar.

Depuis sept ans, le magnat hollywoodien s'est transformé en entrepreneur. Avec sa fortune (1,1 milliard US en 2008 selon Forbes), Michael Eisner a fondé Tornante. En plus d'acheter Topps (cartes de baseball, les «gommes ballounes») pour 385 millions$ US en 2007, l'entreprise a fondé un studio (Vuguru) pour produire des séries à budget modeste pour la télé et le web.

Même retiré de Disney, Michael Eisner, 70 ans, suit son ancienne entreprise, qui vient de réaliser coup sur coup l'un des plus grands fiascos (John Carter) et l'un des meilleurs coups (Les Avengers) du cinéma sur le plan financier.

«Vous pouvez me blâmer pour bien des choses, mais pas pour John Carter! dit-il. Disney a été chanceux à cause du synchronisme du film Les Avengers. À partir du moment où Les Avengers a fait des records au box-office à son premier week-end, les gens ont oublié John Carter.»