L'un des plus longs litiges fiscaux de l'histoire du Québec a pris fin mardi avec l'approbation du tribunal d'une entente visant Revenu Québec et l'ex-propriétaire des patins Bauer. Le fisc a toutefois accepté de récupérer seulement... 18% du montant exigé.

Le litige entre Revenu Québec et l'entreprise OGT Holdings durait depuis 17 ans. En vertu de l'entente, OGT versera finalement 4 millions de dollars à Revenu Québec sur les 22,4 millions qui lui étaient réclamés. Cette somme ne serait possiblement pas suffisante pour rembourser les dépenses engagées par Revenu Québec dans ce dossier.

La genèse de cette histoire remonte à 1994, moment où l'entrepreneur Icaro Olivieri, de Westmount, vend son entreprise familiale Canstar Sports à la multinationale Nike. Canstar était le fabricant des fameux patins de marque Bauer, encore utilisés aujourd'hui par de nombreuses vedettes de la Ligue nationale de hockey.

La transaction rapporte 252 millions à la famille Olivieri. La structure fiscale de la transaction est telle qu'elle permet à la famille d'éviter le paiement de plusieurs millions de dollars d'impôts au fisc québécois.

Revenu Québec conteste toutefois cette structure fiscale, qui implique des entreprises apparentées à OGT Holdings, de la famille Olivieri. Revenu Québec a gain de cause devant la Cour du Québec en juin 2006 et la Cour d'appel en janvier 2009. La structure d'OGT est considérée par les tribunaux comme de l'«évitement fiscal abusif». La Cour suprême refuse d'entendre l'affaire en septembre 2009.

Bref, à l'automne 2009, la famille Olivieri avait épuisé tous ses recours et devait faire parvenir un chèque de quelque 22 millions au fisc, en incluant les pénalités et intérêts. Mais malgré ces défaites, les Olivieri continuaient de refuser de payer.

En faillite... à Yellowknife

Devant ce nouvel affront, le fisc a réclamé la faillite d'OGT, en juin 2010. Les avocats d'OGT ont alors demandé que les audiences sur la faillite se tiennent... à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, où l'entreprise a son siège social.

Les audiences n'ont finalement pas eu lieu dans la contrée des glaciers, à 5000 km de Montréal. Les procédures de faillite se sont déroulées à Montréal et l'on comprend des documents en cour que les avocats d'OGT, de la firme Sweibel Novek, ont réussi à s'entendre à l'amiable avec Revenu Québec.

Le règlement de faillite vise le paiement d'un peu plus de 4 millions de dollars à l'ensemble des créanciers d'OGT. Comme il n'y a que cinq créanciers à part Revenu Québec et que leurs réclamations sont minimes, le fisc empoche au prorata 99% des 4,02 millions, soit environ 4 millions.

Les tribunaux avaient jugé qu'OGT a fait de «l'évitement fiscal abusif», c'est-à-dire que ses manoeuvres respectaient à la lettre la loi de l'impôt, mais en contredisaient l'esprit. Le gouvernement avait justement adopté une «règle générale anti-évitement» pour empêcher ce contournement. Le dossier OGT a été la première victoire de Revenu Québec à ce chapitre.

Jets de Winnipeg

Essentiellement, le stratagème d'OGT jouait sur la différence qui existait à l'époque entre les régimes d'imposition du Québec et du fédéral. Une entreprise pouvait alors déclarer son gain en capital au fédéral au moment d'une transaction, mais le reporter au Québec. Grosso modo, pour éviter l'impôt du Québec, l'entreprise n'avait qu'à déménager dans une autre province après coup.

Les Olivieri ne sont pas les seuls à avoir utilisé le stratagème. À l'époque, il a même été baptisé le Quebec Shuffle (faux-fuyant québécois). Plusieurs entreprises du Québec et de l'extérieur y ont eu recours avant que le gouvernement du Québec ne modifie sa loi, à partir de 1996. Entre autres, les Jets de Winnipeg ont utilisé l'échappatoire lorsque l'équipe de hockey a été vendue, en 1995.

Appelé à commenter la faible somme récupérée, Revenu Québec indique qu'il s'agissait de la meilleure solution dans les circonstances. OGT n'avait pas de biens à faire saisir au Québec qui aurait permis au fisc de se rembourser, explique l'agence.

Pourquoi ne pas faire de saisie à l'extérieur? Impossible, répond Revenu Québec.

En vertu d'une règle de droit appliquée depuis plus de 200 ans, «une autorité fiscale ne peut percevoir ses créances fiscales à l'extérieur de sa juridiction à moins d'ententes de réciprocité», ce qui n'était pas le cas dans cette affaire.

Revenu Québec n'a pas précisé le coût de ses démarches judiciaires dans cette affaire, indiquant seulement que le dossier a été entièrement mené par ses propres employés, à même les coûts généraux de l'organisme.