La Financière agricole, cet organisme paragouvernemental qui sert d'assureur aux producteurs, a imposé une série de réformes pour assainir ses finances. Et plusieurs entreprises agricoles s'en ressentent: celles qui sont moins performantes ne peuvent plus survivre en attendant un chèque du gouvernement. La décision pourrait mettre des centaines de fermes en faillite, selon l'UPA.

Avec 700 boeufs qui mangent leur moulée, on pourrait craindre que le parc d'engraissement de Denis Ouellet dégage une forte odeur. Au contraire, les panneaux des murs sont abaissés et une brise fraîche balaie les enclos. Les bêtes dodues reculent sans bruit tandis que l'éleveur s'approche pour les inspecter. Des bêtes qui sont beaucoup moins nombreuses qu'autrefois.

«Entre 2008 et 2010, nous avons perdu 30% de notre production, relate l'agriculteur. Et ce, avant même toutes les jambettes de la Financière agricole.»

Depuis qu'il a pris les rênes de cette ferme familiale, M. Ouellet a investi massivement pour l'agrandir et la moderniser. Elle s'étend sur 1100 acres, et peut produire chaque année plus de 5000 bêtes. Mais les installations, construites à coups de centaines de milliers de dollars, ne fonctionnent qu'à moitié de leur capacité. La moulée coûte plus cher, conséquence de l'explosion du cours des céréales. L'appréciation du dollar canadien fait qu'il recevra moins pour un boeuf exporté aux États-Unis.

À cela s'ajoute le tour de vis imposé par la Financière agricole.

Cet organisme paragrouvernemtal administre différents programmes d'assurance aux agriculteurs. Il avait cumulé un déficit d'un milliard lorsque Québec lui a imposé un ménage, l'an dernier. Cette opération n'est pas seulement comptable: on veut forcer les entreprises agricoles à faire des profits au lieu d'attendre un chèque du gouvernement.

La Financière a donc adopté une série de réformes, dont une touche l'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). Ce programme vise à garantir aux agriculteurs un revenu annuel positif malgré les aléas des marchés. Les versements de l'ASRA sont essentiels pour une entreprise comme celle de Denis Ouellet.

Car depuis la crise de la vache folle, en 2004, le coût de production d'un boeuf demeure plus élevé que son prix de vente. Il perdrait de l'argent sans le programme.

La Financière a modifié la manière dont elle calcule les prestations versées en vertu de l'ASRA. Elle indemnisera les producteurs en se basant sur les coûts de production des 75% d'entreprises les plus performantes. En clair, cela veut dire que Denis Ouellet devrait voir ses prestations amputées de 20$ à 25$ pour chaque boeuf qu'il produit, une perte de 100 000$.

Si son entreprise reste à flot, c'est parce qu'il produit aussi du maïs, du soya, du blé et de l'orge, des denrées dont les prix sont très élevés par les temps qui courent.

«Aujourd'hui, même si on est excellents en production entre le premier et le dernier jour où l'animal est avec nous, ça ne suffit plus, dit-il. Il faut aussi avoir des stratégies d'approvisionnement et de vente qui sont différentes.»

Coup de grâce

La nouvelle politique de la Financière agricole pourrait toutefois donner le coup de grâce aux entreprises les plus vulnérables, selon l'Union des producteurs agricoles (UPA), qui a fait une sortie enflammée contre la réforme la semaine dernière. Son président, Christian Lacasse, souligne que 1700 élevages de porc et de boeuf ont déjà disparu depuis 2008, avant même que la Financière agricole resserre ses prestations.

«Les producteurs font tous les efforts pour améliorer leur efficacité, leur productivité, affirme M. Lacasse. Mais en faisant cela, ils doivent investir dans de la nouvelle technologie, des équipements. Et avec l'endettement, ils n'arrivent plus à joindre les deux bouts.»

Reste que plusieurs fermes ne sont plus capables de maintenir la cadence dans une économie mondialisée, selon certains observateurs.

«Il y a une réalité à la base, c'est qu'il y a du monde qui n'ont pas d'affaire là», dit Nicolas Jobin, propriétaire du Groupe Vision Gestion et consultant spécialisé en redressement d'entreprises agricoles.

Cet agronome rencontre régulièrement des producteurs en difficulté. Et dans plusieurs cas, il leur conseille tout bonnement de mettre la clé sous la porte. Il estime que dans certaines industries comme le porc, le boeuf et l'agneau, le quart des entreprises étaient appelées à disparaître avant même que la Financière agricole ne resserre ses prestations.

Cependant, les réformes vont trop vite, affirme-t-il. Il faudrait donc les appliquer graduellement afin de laisser plus de temps aux agriculteurs pour moderniser leurs activités.

«On aurait quand même vu des fermes sortir, dit M. Jobin. Mais d'autres auraient été capables de supporter la pression et passer à travers.»

La Financière agricole a préféré ne pas commenter le dossier, puisqu'il est toujours débattu devant une commission parlementaire. Au ministère de l'Agriculture, on précise que les réformes qui obligeront les producteurs à devenir plus efficaces visent justement à les mettre à l'abri des imprévus des marchés.

«Le Québec est la province qui investit le plus dans son agriculture, fait valoir le sous-ministre à l'Agriculture, Norman Johnston. En termes relatifs, c'est plus du double que ce que les autres provinces font au niveau de la gestion des risques.»