L'annonce de la multinationale pharmaceutique suisse Roche d'investir 190 millions de dollars et de créer 200 emplois en Ontario soulève des inquiétudes au Québec. La nouvelle ravive les discussions sur la stratégie du gouvernement Charest pour attirer les investissements, en plus de relancer le débat sur les fameuses «ententes secrètes» signées par l'Ontario avec les entreprises pharmaceutiques.

Roche a annoncé mardi dernier la création d'un important centre de développement pharmaceutique à Mississauga, près de Toronto, qui coordonnera les tests sur les patients effectués dans le monde entier. Pour certains observateurs, cette annonce montre que le Québec, jadis la plaque tournante de la recherche sur les nouveaux médicaments au Canada, perd du terrain au profit de l'Ontario. Rappelons que Merck a fermé l'an dernier le plus ancien et plus important centre de recherche pharmaceutique de la région montréalaise.

«Je pense que cet investissement est comme un signal d'alarme, dit Mélanie Bourassa Forcier, professeure de droit pharmaceutique à l'Université de Sherbrooke. Il doit nous pousser à nous questionner sur l'efficacité de la stratégie biopharmaceutique québécoise et de la politique du médicament.»

Grâce aux «ententes secrètes» ?

L'annonce ontarienne ravive aussi le débat sur ce qu'on a appelé les «ententes secrètes», des contrats controversés que signent l'Ontario et l'Alberta avec les entreprises pharmaceutiques.

Ces provinces se sont entendues avec les multinationales pour faciliter l'inscription de leurs nouveaux médicaments sur la liste des produits remboursés par les régimes publics, souvent même si les bénéfices pour les patients n'en justifient pas totalement les coûts.

En échange de cet accès facilité au marché, les entreprises renvoient l'ascenseur aux gouvernements provinciaux en leur accordant des rabais sur les médicaments ou en promettant des investissements dans la province.

En mai 2010, le gouvernement Charest avait demandé à la Régie de l'assurance maladie du Québec d'enquêter sur les ententes ontariennes, dont les termes sont tenus secrets.

«C'est peut-être l'existence de ces ententes qui explique l'investissement de Roche en Ontario, dit Mélanie Bourassa Forcier, de l'Université de Sherbrooke. Mais on ne le saura jamais, parce que les ententes sont confidentielles.»

D'autres observateurs de l'industrie ont affirmé à La Presse Affaires voir un lien probable entre les «ententes secrètes» de l'Ontario et l'investissement de Roche.

Québec ne veut pas commenter l'investissement de Roche et refuse d'expliquer ses réticences à signer des ententes comme le font l'Ontario et d'autres provinces.

Au ministère de la Santé, l'attachée de presse du ministre Yves Bolduc, Natacha Joncas Boudreau, se contente d'affirmer que chaque province a adopté des stratégies différentes et rappelle que «le Québec attire une part des investissements pharmaceutiques hautement supérieure à son poids démographique».

«En unissant leurs forces, le Québec et l'Ontario pourront rivaliser avec les plus grandes grappes en sciences de la vie du monde non pas en tant que compétiteurs, mais en tant que partenaires», dit de son côté le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation.

À la Régie de l'assurance maladie, l'enquête sur les ententes secrètes en Ontario a peu progressé depuis 15 mois. «On est en attente d'information du gouvernement de l'Ontario», dit le porte-parole, Marc Lortie.

«C'est long, je suis d'accord avec vous», convient-il.

»Bonne nouvelle pour le Canada»

Montréal In Vivo, qui représente les entreprises de sciences de la vie de la région montréalaise, refuse de s'alarmer. Sa présidente, Michèle Savoie, souligne que le siège social de la filiale canadienne de Roche est en Ontario et qu'il est normal que ce soit là que l'entreprise investisse.

«La décision de Roche n'était pas de savoir si on investit au Québec ou en Ontario, mais bien si on investit au Canada ou ailleurs dans le monde. Dans ce contexte, on considère que c'est une bonne nouvelle que l'entreprise a choisi le Canada.»

Mme Bourassa Forcier, qui partage ce point de vue, croit toutefois que le Québec doit se lancer dans une révision en règle de sa politique du médicament.

Il a été impossible de joindre Roche dans le cadre de cet article.