Le milieu des affaires presse Ottawa de confirmer la construction d'un nouveau pont Champlain. Les entreprises du Grand Montréal craignent une catastrophe économique si le pont - où transitent chaque année 20 milliards en marchandises et des centaines de milliers de travailleurs - était mis hors service sans être remplacé.

Le gouvernement conservateur a annoncé vendredi dernier un investissement de 158 millions de dollars en trois ans pour permettre à la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain (PJCC) de poursuivre la réfection du pont, dont certaines parties menacent de s'écrouler, selon des études révélées par La Presse. Cette somme s'ajoute aux 212 millions déjà consentis pour un programme d'entretien de 10 ans, lancé en 2009.

Or, le sénateur Larry Smith a refusé de se commettre au sujet de la construction d'un nouveau pont, une prise de position qui inquiète au plus haut point les entreprises du Grand Montréal. Selon elles, la mise hors service du pont Champlain avant la construction d'un autre pont ne serait rien de moins que catastrophique pour l'économie de la métropole.

Les mesures annoncées par Ottawa ont l'effet d'un «plaster sur une plaie ouverte», déplore le président de la chambre de commerce et d'industrie de la Rive-Sud (CCIRS), Normand Chadwick.

«C'est un lien stratégique, et ce lien stratégique est en train de s'effriter et sa durée de vie utile est terminée, dit-il. On comprend très mal la décision du gouvernement fédéral de ne pas confirmer la construction d'un nouveau pont.»

Des marchandises d'une valeur d'environ 20 milliards circulent chaque année sur le pont, et 165 000 véhicules l'empruntent tous les jours. À cela s'ajoutent les 45 000 personnes qui transitent par la voie réservée située au centre, autant de passagers que dans les trois stations de métro à Laval. C'est le pont le plus fréquenté du Canada, et un axe vital pour le transport des marchandises et le déplacement des travailleurs, disent les gens d'affaires.

S'il devait fermer, la situation deviendrait «infernale», affirme le président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc.

«Le pont Champlain est absolument fondamental et c'est un pivot de notre économie, affirme-t-il. C'est l'un des axes stratégiques les plus importants pour l'ensemble du Québec, pas seulement pour Montréal. Il est d'autant plus incontournable que le prolongement de l'autoroute 30 n'est pas terminé.»

Moins critique que M. Chadwick, M. Leblanc estime que les réparations annoncées vendredi par Ottawa sont un pas dans la bonne direction. Selon lui, le gouvernement fédéral connaît bien les problèmes du pont Champlain. Des fonctionnaires ont joint son organisme il y a un an et demi pour discuter du processus de consultation avant la construction d'un nouveau pont. À l'époque, des discussions étaient déjà amorcées avec Québec pour coordonner le chantier.

«Ce qui m'aurait rendu nerveux, c'est un gouvernement fédéral lent à réagir à un signal d'alarme», dit M. Leblanc.

Camions

Le pont accueille entre 10 000 et 12 000 camions tous les jours, selon l'Association de camionnage du Québec. C'est cinq fois plus que le pont Mercier, où les gros véhicules ne peuvent circuler en direction sud en raison de travaux. Le pont Jacques-Cartier aboutit en plein quartier résidentiel, et se prête donc mal aux livraisons commerciales. Quant au pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, la circulation des marchandises est restreinte. Il est interdit d'y transporter des matières dangereuses parce qu'une section est située sous terre.

La Presse Affaires a joint deux entreprises de transport qui livrent des marchandises aux quatre coins de l'Amérique du Nord. Le Groupe Robert et Vitran Express ont produit la même estimation: environ 15% de leurs livraisons passent par le pont Champlain.

Le vice-président marketing du Groupe Robert, Jean-Robert Lessard, craint que l'hésitation d'Ottawa dans ce dossier ait un impact sur la croissance économique sur la Rive-Sud.

«Des gens qui songent à établir une entreprise sur la Rive-Sud vont se poser des questions, dit-il. Que feront-ils s'ils doivent traverser Montréal pour y faire des livraisons, ou encore aller livrer à Laval?»

Il souligne que le pont Champlain n'est pas seulement une porte d'entrée vers Montréal. Il permet aussi d'aller rejoindre les autoroutes 20 et 40 vers l'Ontario, en plus de la 10 vers l'Estrie. Sans lui, le Groupe Robert serait forcé de rediriger ses camions lourds vers d'autres axes routiers, ce qui accentuera les problèmes de congestion.

Selon l'Association du camionnage du Québec, les retards se traduiraient par du gaspillage d'essence, des pertes de temps, bref par des coûts.

«Il y aurait un coût énorme, et un coût qui va inévitablement devoir être refilé aux consommateurs», estime le président de l'organisme, Marc Cadieux.

La construction d'un nouveau pont fait l'objet d'études depuis au moins deux ans. Il longerait le pont actuel, du côté est. Un des scénarios prévoit qu'il ait huit voies de circulation plutôt que six, dont deux seraient réservées aux transports en commun et, éventuellement, à un système léger sur rail (SLR).

La facture de ce projet pourrait s'élever à 6 milliards. Le montage financier n'a pas encore été déterminé.