Si le passé est garant de l'avenir, les médecins et dentistes qui ont investi des dizaines de millions de dollars dans le réseau Prospector risquent fort perdre leur cause devant le fisc.

Revenu Canada, rappelons-le, mène une enquête criminelle sur le promoteur de Prospector, Claude Duhamel. Le fisc estime que le financier a incité plus de 400 investisseurs à frauder le fisc en les incitant à investir dans un réseau qui a peu d'activités réelles.

Or, La Presse Affaires a appris que Prospector n'est pas la première mouture du genre. Avant d'imaginer Prospector, un groupe proche de Claude Duhamel avait mis sur pied le réseau Cierra, au début des années 2000. Or, les investisseurs de Cierra ont subi une défaite cinglante devant le fisc quelques années après y avoir investi, selon des documents que nous avons obtenus.

La stratégie utilisée par Cierra était très semblable à celle offerte par la suite aux investisseurs de Prospector. Dans les deux cas, il s'agissait de vendre des logiciels aux États-Unis, procédé qui permettait de généreuses déductions d'impôts. Le cerveau fiscal derrière le réseau est le même, soit Jacques Matte, avocat qui a démissionné du Barreau l'automne dernier à la suite d'une fraude.

Dans Cierra, les investisseurs achetaient plus précisément une licence de commercialisation d'un logiciel de transactions financières internationales. Les achats de licence ont eu lieu en 2002 et 2003. Le fisc a finalement entièrement refusé les déductions des investisseurs dans Cierra en raison de la quasi-absence d'activités de l'entreprise. En plus des impôts réclamés, les investisseurs ont dû payer des intérêts.

Le promoteur de Cierra était l'entreprise Services financiers Internat (SFI). Cette entreprise appartenait à Daniel Boivin, associé de Claude Duhamel. Les deux partenaires étaient notamment actionnaires à parts égales de la société Valeurs mobilières Internat, située à la même adresse que SFI.

En 2003, Valeurs mobilières Internat et les deux associés ont été radiés par la Commission des valeurs mobilières (CVMQ), ancêtre de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pour une période de 10 ans dans une autre affaire. L'an dernier, Claude Duhamel et Daniel Boivin ont de nouveau été accusés par l'AMF pour avoir recueilli des fonds illégalement.

C'est en 2005 que le fisc a commencé à s'interroger sur la légitimité des déductions fiscales demandées par les investisseurs de Cierra. La direction de Cierra a alors conseillé aux investisseurs de choisir l'avocat Jacques Matte pour les représenter. Ce dernier leur a suggéré de contester jusqu'au bout, les invitant même à mener leur cause devant la Cour du Québec.

En 2007, Jacques Matte a commencé à reculer. «Nous devons donner un mérite certain à la position du ministère du Revenu, plus particulièrement quant à l'inexistence de l'entreprise», admet-il dans une lettre transmise aux investisseurs de Cierra en février 2007.

Deux ans plus tard, c'est la capitulation. «Nous sommes arrivés à la conclusion que nos chances de succès dans ces dossiers sont nulles», écrit Jacques Matte le 21 janvier 2009 dans une autre lettre.

Cette conclusion, dit-il, est basée sur le fait que «l'expectative de profits de l'entreprise soit à tout le moins douteuse», que les intérêts sur les prêts n'ont pas été payés et que le produit n'était en somme qu'un abri fiscal.

Cette défaite cinglante n'a pas empêché Claude Duhamel et Jacques Matte de proposer aux investisseurs d'autres formules dérivées de Cierra. Coup sur coup sont ainsi nés Prospector (2003), Mail-it-Safe (2005), Challenge your World (2008) et Cash-on-Time (2009). Chaque fois, la formule est semblable et contestée par le fisc.

Aujourd'hui, les investisseurs se méfient. Certains ont joint La Presse malgré la directive de l'organisation de ne pas parler aux journalistes. L'un d'eux dit avoir investi à la fois dans Cierra et dans Prospector et soutient avoir payé 110 000$ en intérêts au fisc.

L'histoire sera-t-elle différente pour les professionnels de la santé qui ont investi dans le réseau Prospector? C'est à voir. Pour l'instant, la plupart sont représentés devant le fisc par le cabinet Ravinsky Ryan Lemoine, de même que par Davies Ward Philips&Vineberg et Lapointe Rosenstein Marchand Melançon. Les lourds honoraires de ces avocats sont payés par Prospector, dont l'argent vient essentiellement des investisseurs. Aucun des avocats n'a voulu parler à La Presse.

Selon nos informations, les investisseurs espèrent maintenant arriver à une entente avec le fisc pour épargner les intérêts et les pénalités sur leurs créances fiscales. Plusieurs n'ont pas payé un sou d'impôt depuis des années en raison de leurs investissements dans Cierra ou Prospector. Grâce aux déductions réduisant leurs revenus imposables, certains riches contribuables auraient même reçu des prestations de soutien à la famille, destinées plutôt aux ménages à faibles et moyens revenus.

Quant à Claude Duhamel, considéré comme le maître d'oeuvre de l'organisation, ses procédures de faillite en novembre dernier lui ont permis de dégonfler la dette qu'il avait accumulée envers le fisc ces dernières années. Il devait 2,3 millions de dollars, mais la proposition concordataire a fait réduire la facture à environ 135 000$.