Les marchands craignent que la nouvelle politique de stationnement qu'envisage le Plateau-Mont-Royal fasse fuir leur clientèle, mais c'est tout le contraire qui devrait se produire, affirme un chercheur américain. Donald Shoup, de l'Université de la Californie à Los Angeles (UCLA), soutient que les parcomètres sont carrément bénéfiques pour les artères commerciales... à condition que leur prix soit bien choisi.

«Si les tarifs sont trop élevés, il y aura beaucoup d'espaces vides et ce sera la preuve que les clients en voiture sont allés ailleurs, explique M. Shoup depuis son domicile californien. Par contre, si le tarif est bon, il y aura un ou deux espaces vacants par pâté, et les marchands vont beaucoup en profiter.»

La politique de stationnement que souhaite adopter le Plateau Mont-Royal prévoit l'ajout de 600 parcomètres, la hausse des tarifs de 2$ à 3$ l'heure et l'extension des heures tarifées dans une partie du boulevard Saint-Laurent. Les marchands sont farouchement opposés au projet, même si le tiers des recettes doit être remis aux Sociétés de développement commerciales (SDC) qui les représentent.

Après une intervention du maire Gérald Tremblay, lundi, le Plateau a mis son projet sur la glace.

Même si les parcomètres suscitent des débats enflammés depuis des années, ni l'arrondissement, ni la Ville-centre, ni Stationnement de Montréal n'ont jamais mené d'étude pour mesurer leur impact sur le commerce. M. Shoup est l'un des rares à l'avoir fait.

En 1993, la Ville de Passadena, en Californie, a entrepris de revitaliser son district historique. Elle a déployé des parcomètres et utilisé leurs revenus pour planter des arbres, nettoyer les rues, réparer les trottoirs. Seuls les secteurs où l'on a disposé des parcomètres ont bénéficié du programme.

Malgré la grogne des marchands, Passadena a adopté sa politique. Et 17 ans plus tard, le district historique est l'un des plus branchés en Ville.

À juste prix, les parcomètres rendent les artères commerciales plus attrayantes, affirme M. Shoup, car même s'ils paient un peu plus, les clients n'ont aucun mal à se stationner. Il suggère donc de laisser libre le jeu de l'offre et de la demande, et d'ajuster les tarifs pour faire en sorte qu'il y ait toujours quelques places libres sur un pâté donné.

Ce raisonnement sourit à Ahmed El Geneidy, professeur d'urbanisme à l'Université McGill. Selon lui, c'est le cachet du Plateau, et non le stationnement, qui est la clé du succès pour les marchands.

« Ce qui est offert sur le Plateau, on ne peut le reproduire au Carrefour Laval ou au Dix30, convient-il. Il y a une clientèle différente, des boutiques différentes. On ne peut pas dire que le Plateau est vraiment en concurrence avec la banlieue. »

La SDC de l'avenue Mont-Royal a mené un sondage-éclair auprès de 200 clients qui utilisent leur voiture. Près de 40% des répondants ont affirmé qu'ils magasineraient moins souvent si le stationnement devient payant.

Seulement le quart des clients utilisent leur voiture pour se rendre sur Mont-Royal, convient Michel Dépatie, qui dirige la SDC. Mais cette proportion est beaucoup plus élevée dans certains secteurs des rues St-Denis et St-Laurent.

Selon Paul Lewis, professeur d'urbanisme à l'Université de Montréal, les craintes des marchands sont justifiées. D'autant plus qu'il n'existe aucune étude montréalaise pour les rassurer.

« À un moment donné, si les gens sont mobiles, ils peuvent choisir d'aller ailleurs, souligne-t-il. Les commerçants ne vont pas perdre 50% de leurs clients, mais ils vont certainement perdre certains de leurs clients, au moins à l'occasion. »

Or, poursuit-il, dans un contexte où les centres commerciaux de la banlieue livrent déjà une rude concurrence aux commerces indépendants des quartiers centraux, même une légère baisse de la clientèle peut mener à la faillite.

Pierre Delorme, qui dirige un groupe d'étude sur Montréal à l'UQAM, abonde dans le même sens. Le professeur d'études urbaines et touristiques voit mal comment la hausse des tarifs sur le Plateau peut aider le commerce. Rares sont ceux qui vont faire leurs emplettes sans voiture, fait-il valoir, et c'est surtout vrai pour les familles que la Ville de Montréal cherche pourtant à attirer.

« Le grand discours sur pas d'auto dans la ville, ça ne convient pas à tout le monde », résume-t-il.