Restés longtemps des sanctuaires «conservateurs, élitistes et misogynes», les clubs privés, chacun à sa façon, s'adaptent aux nouvelles réalités socioculturelles de la cité. Mot-clé: pérennité. Bref état des lieux dans les anciens gentlemen's clubs.

Les clubs, ces cercles qui rassemblent des hommes aux intérêts et aux goûts communs, sont nés en Angleterre au XVIIe siècle. Dans les siècles qui suivent, on les voit s'ouvrir, de plus en plus exclusifs, partout où l'Angleterre étend son «empire sur lequel le soleil ne se couche jamais»: de Bombay à Boston, de Melbourne à Montréal.

 

Tous les gentlemen's clubs, partout, fonctionnent sur le modèle de ceux de la capitale: en 1900, Londres compte quelque 2000 clubs dont les plus huppés se comparent aux meilleurs hôtels métropolitains. Les hommes s'y rassemblent pour jouer, discuter, boire et manger, observant des règles strictes quant à la tenue vestimentaire, à l'administration et à l'admission de nouveaux membres. Quand, après bien des histoires, les femmes y sont finalement admises, c'est par leur propre entrée qui les mène à la salle à dîner des femmes où elles seront confinées jusqu'à tard dans le XXe siècle.

Montréal ne fait pas exception. Avant la Première Guerre mondiale - et l'impôt sur le revenu -, ses clubs sont à l'égal de son prestige de métropole, de capitale financière et industrielle du Canada. La grande bourgeoisie d'affaires, anglo-écossaise surtout, se retrouve d'abord au St. James Club, fondé en 1857, puis au Mount Royal Club (1899), plus sélect encore. Les notables canadiens-français fondent le Club Saint-Denis en 1874 (voir autre texte) et les juifs, le Montefiore Club en 1880. Après leurs cours, les professeurs de McGill descendent au University Club à partir de 1906 et, 20 ans plus tard, des hommes d'affaires anglo-saxons fondent le Mount Stephen Club pour sauver un joyau montréalais de l'architecture victorienne.

Tous ces clubs privés existent toujours et s'adaptent, chacun à son rythme, aux changements économiques, sociaux et gastronomiques qui ont marqué Montréal depuis 40 ans et, de façon plus générale, aux nouvelles formes de sociabilité de l'Amérique moderne.

Nouvel acteur

À ces clubs traditionnels, toutefois, est venu s'ajouter, au début du siècle présent, un «nouveau club» où convergent de façon originale histoire et tradition, art et technologie: c'est le 357 C, vite devenu l'adresse la plus prestigieuse de la rue de la Commune. «J'ai voulu ramener les gens d'affaires dans le Vieux-Montréal», nous dit Daniel Langlois, fondateur de Softimage et d'eXcentris qui a acheté et rénové l'ancien immeubles des Commissaires du havre, longtemps laissé à l'abandon.

En quoi «le club à Langlois» se distingue-t-il de ses semblables du centre-ville? Par sa souplesse, selon son fondateur: «Nous n'avons pas à travailler avec une charte vieille de 100 ans. Ici, le veston-cravate n'est pas la règle.» Le 357, «plus privé qu'exclusif», compte 530 membres dans les trois catégories traditionnelles - individuels (3600$ la première année), corporatifs et étrangers -, mais aussi une vingtaine d'organismes culturels qui, «pour presque rien», peuvent profiter des ressources de ce «carrefour d'échanges culturels, économiques et gastronomiques», un établissement privé lié à la Fondation Daniel Langlois pour l'art, la science et la technologie (www.le357c.com).

Dans le quartier moderne des affaires, à l'intersection du boulevard René-Lévesque et de l'avenue Union, le Club Saint-James loue aujourd'hui deux étages d'un immeuble que ses membres ont fait construire en 1961, après que leur prestigieux pavillon eut été démoli, sur le terrain où s'est érigée la Place Ville-Marie (1). Les temps changent... Aujourd'hui les femmes (qui comptent pour un cinquième des 670 membres, francophones à 85%) entrent par la même porte que les hommes. Hormis la partie d'huîtres et le défilé du père Noël toutefois, le Saint-James (www.stjamesclub.ca) n'a plus rien de social: la table de billard a été vendue et les membres n'y vont plus pour se rencontrer.

«Le Saint-James est devenu un club d'affaires», explique Andrée Vincent, la directrice générale qui, au cours d'une même semaine, voit défiler des centaines d'invités dans les 11 salons du club que les membres louent, qui pour un déjeuner d'affaires, qui pour un C.A. ou un dîner d'association. Ce jeudi-là, le chef suisse Marc André Cantin et ses cuisiniers allaient préparer pas moins de 650 repas. D'une qualité comparable aux meilleurs restaurants de la ville, souligne Mme Vincent qui prône l'approche «élégance et simplicité». Le défi du vieux Saint-James où l'on peut devenir membre pour 1500$? «Toutes nos décisions, stratégiques ou quotidiennes, visent à assurer la pérennité du club.»

Structure nouvelle

Pour assurer sa survie, de son côté, le Mount Stephen Club a choisi de s'associer à l'entreprise privée. Depuis 2006, le groupe hôtelier Tidan (Méridien Versailles, hôtel Mont Gabriel, etc.) est propriétaire de l'impressionnante maison de la rue Drummond que le richissime George Stephen, longtemps président de la Banque de Montréal, s'était fait construire en 1880 dans le «Golden Square Mile» au coût de 600 000$. La maison est maintenant classée comme bâtiment patrimonial et, à ce titre, Tidan l'ouvre au public pour le dîner du samedi et le brunch du dimanche (www.clubmountstephen.com). Au son de la harpe.

«Nous avons le plus beau club», lance Bernard Beauchemin, le directeur adjoint du Mount Stephen qui nous reçoit à sa table - impeccable en tous points - avec Maurizio Rinaldi, propriétaire d'une agence de publicité et membre du conseil du club où les frais annuels sont de l'ordre de 2000$. «Notre défi est de convaincre les jeunes que nous ne sommes pas une chose du passé», admet toutefois M. Beauchemin, un administrateur hôtelier agréé, tout comme son patron, Silvio Sicoli. Le vice-président exécutif de Tidan a la tâche ardue de conjuguer les traditions du club de 400 membres - il est toujours interdit de se passer des documents à la salle à dîner - et les intérêts corporatifs, tout cela en sachant qu'il faut «aller avec le temps».

Avec le temps, le Club universitaire de Montréal va depuis 100 ans, alors que l'économiste et humoriste Stephen Leacock et le médecin-poète John McCrae avaient rassemblé leurs collègues de McGill. Fort de ses 750 membres - qui, depuis 1988, n'ont plus à appartenir à une université -, le University Club (2047, rue Mansfield, au coin de la rue Sherbrooke) reste «le club le plus actif» à Montréal, selon son directeur général, André J. Côté (www.ucmontreal.ca).

«Nous avons un programme d'activités incomparable, avec des conférences sur des sujets économiques, politiques et culturels - nous avons reçu récemment Paul Côté, le président sortant de VIA, et le photographe Gabor Szilasi. Nous offrons aussi quatre dîners gastronomiques par année, sur des thématiques conçues par notre chef Alain Monod.»

Au-delà de la gastronomie et du «milieu paisible» dans lequel les membres peuvent trouver collègues et amis, M. Côté soutient que l'avantage des clubs privés - du sien en tout cas - réside dans «le plaisir de se faire reconnaître».

Après ce premier plaisir, les membres se livrent à celui, peut-être plus grand encore, que procurent tous les cercles humains depuis l'invention du feu: ils «devisent ensemble de leurs affaires... de celles des autres». (2)

SOURCES: (1) L'histoire du Club Saint-James de Montréal: 1857-1999, Montréal, 2000. (2) cnrtl.fr

LE PLUS GROS

Restés proches de certaines traditions britanniques, les grandes villes

américaines de la côte Est ont aussi leurs gentlemen's clubs. Le plus gros,

on ne s'en surprendra pas, est à New York : le Yale Club of New York City a

11 000 membres – la majorité sont des diplômés de la grande université de

New Haven au Connecticut (budget annuel : 2,3 milliards de dollars). Le

pavillon du Yale Club est en fait un hôtel de 22 étages, situé rue

Vanderbilt près de Central Station, au coeur de Manhattan

(www.yaleclubnyc.org).

POUR FIDÉLITÉ

Alain Mounod, chef du Club Universitaire, a reçu en juin dernier le prix du

Mérite agricole de France pour sa fidélité à la tradition culinaire et aux

vins français. Fidélité que partage certainement le directeur général du

club, Alain J. Côté, spécialiste des vins de Bordeaux et de la Loire, et,

depuis un an, président de l'Association canadienne des sommeliers

professionnels.