Au Québec, on n'a pas vu de vagues de suicides comme chez France Telecom, mais les congés de maladie en raison de problèmes de santé mentale explosent littéralement. Dans le milieu de la santé, le tiers des congés prolongés sont liés à ces pathologies, a-t-on appris cette semaine. Dans la population en général? Ce n'est vraiment pas plus reluisant, quand on regarde les chiffres de près.

Katerine Brisebois raconte qu'elle était un vrai petit pitbull. Un pitbull, normalement, ce n'est pas un chien très sympathique. En journalisme, par contre, être pitbull, c'est souvent bien vu.

 

Elle était donc un pitbull de la télévision. Performante, perfectionniste, du genre de celles qui se retrouvent vite à «la grosse antenne», comme on dit. Partout. Elle était partout.

On avait besoin de ses services en région? Elle partait en région. «À un moment donné, en deux ans, j'ai déménagé dans cinq villes différentes.»

Puis un jour... crac. Cassée, la fille. «Un jeudi, le médecin m'a annoncé que j'étais en dépression majeure. Et quelle a été ma première pensée? Le travail. J'avais tel dossier sur mon bureau, telle et telle personne à rappeler, ça ne se pouvait pas que je m'absente là, tout de suite, pour longtemps.»

«En plus, quand les gens apprennent que t'as un burn-out, ce n'est pas comme pour une autre maladie: les petits messages et les appels de prompt rétablissement, moi, je n'y ai pas eu droit.»

Et c'est sans parler de la reprise du travail, raconte-t-elle, au cours de laquelle le malaise est palpable.

«Quand j'ai été remise sur pied, j'ai tenté d'être affectée à d'autres tâches, mais j'ai eu une fin de non-recevoir. J'ai démissionné.»

Au cours des sept dernières années, Katerine Brisebois a voyagé beaucoup, fait des piges pour les Nations unies, fait un peu de travail humanitaire et découvert les mérites de la méditation.

Claude Di Stasio, porte-parole de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, indique qu'au Québec, les problèmes de santé mentale représentent 40% de toutes les prestations versées aux employés.

Pour le Québec, en 2007, cela représentait 590 millions de dollars. «Les problèmes de santé mentale arrivent au premier rang des prestations versées, bien devant les problèmes cardiovasculaires ou musculo-squelettiques - les fameux problèmes de dos, par exemple», indique Mme Di Stasio.

Les assureurs privés sont très préoccupés par l'ampleur du problème, dit Mme Di Stasio, et sont de plus en plus conscients de l'importance de la prévention. «On sait très bien qu'une personne en arrêt de travail pendant trois mois a toutes les chances de réussir sa réinsertion; après six mois, le retour est difficile; après deux ans, à peine 5% reprennent le boulot.»

Ça coûte cher...

À la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), les données sont tout aussi alarmantes. En 1996, les problèmes de santé mentale entraînaient, annuellement, des déboursés de 6,5 millions. En 2007, on en était à 15,1 millions: en 1995, la CSST a relevé 895 «lésions», comme elle les appelle. En 2007? Pas moins de 1209.

«L'invalidité liée à la santé mentale est de plus longue durée que pour d'autres pathologies et ça ajoute au problème, relève Jacques Parent, vice-président principal des assurances collectives à l'Industrielle Alliance. À la veille de reprendre le travail après trois semaines de vacances, on est toujours un peu nerveux, imaginez quand ça fait trois ou quatre mois que vous n'y êtes pas allé.»

Inquiétude

Florent Francoeur, président de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, signale qu'il ne faut pas se faire d'illusions. «Il serait de bon ton de dire que ce sont pour des motifs humains que les entreprises se penchent davantage sur ces questions, mais ce n'est pas le cas: les entreprises voient leurs coûts d'assurances exploser, et ça inquiète beaucoup.

«Lors des crises précédentes, poursuit-il, les employeurs se disaient qu'ils n'avaient qu'à mettre des gens à pied au creux de la vague et à les réembaucher ensuite, mais les pénuries actuelles de main-d'oeuvre incitent maintenant à plus de prudence. On cherche maintenant à sabrer ailleurs, notamment dans les coûts de plus en plus élevés liés aux assurances.»

Au surplus, les nouvelles vont vite, fait aussi remarquer M. Francoeur. Aucune entreprise n'a intérêt à être identifiée, dans un milieu donné, comme un endroit où les gens tombent comme des mouches.

En France, qui aura envie d'aller travailler chez France Telecom, dont 26 de ses employés se sont suicidés au cours des 18 derniers mois? En tout cas, là-bas, on ne prend pas cela à la légère: pas moins de 80 000 salariés ont dû répondre à un questionnaire sur le stress et 1000 personnes, choisies au hasard, feront l'objet d'une entrevue individuelle, afin d'en savoir plus sur le malaise profond de l'organisation.

 

plusieurs facteurs

La charge de travail demeure le principal facteur pouvant mener à un épuisement professionnel, mais c'est loin d'être le seul, signale Nicolas Chevrier, psychologue du travail aux Services psychologiques Séquoia.

Dans la littérature scientifique, dit-il, cinq autres causes principales sont mentionnées. L'appui que l'on reçoit ou que l'on ne reçoit pas de ses pairs et de ses patrons est déterminant. La reconnaissance - par des prix ou autres - compte aussi beaucoup. Nos valeurs correspondent-elles ou pas à celles de notre entreprise? Ce facteur est également très important. Les employés doivent aussi sentir qu'ils sont traités équitablement et qu'il n'y a pas de favoritisme au sein de l'entreprise. Enfin, l'impression d'avoir une certaine maîtrise de son travail - des tâches claires, des objectifs précis et réalistes - facilite grandement la vie d'un employé. Cela étant dit, ajoute M. Chevrier, un mauvais climat de travail et un patron cruel n'expliquent pas tout. «On estime en gros que l'épuisement professionnel est causé à 60% par l'organisation, et que 40% est attribuable à l'individu, à sa personnalité, à sa façon de réagir.»