Que reste-t-il des dizaines de millions détournés par le faux conseiller financier Earl Jones, se demandent encore sa centaine de victimes, trois mois après la mise au jour de cette fraude?

Réunies hier en assemblée dans un hôtel de la banlieue ouest de Montréal, environ 80 des 150 victimes présumées ont appris que les toutes prochaines semaines seront cruciales pour l'enquête qui vise à retrouver trace de leurs épargnes et leurs fonds de retraite.

Car après des semaines de démarches, le principal enquêteur comptable dans cette affaire, la firme RSM Richter, vient de commencer à recevoir des boîtes de documents provenant de la Banque Royale, le principal fournisseur de services bancaires à Earl Jones et sa fausse firme de gestion financière.

Aussi, c'est à compter de mercredi prochain, 16 septembre, que débuteront les interrogatoires sous serment parmi les principaux collaborateurs d'affaires de Jones, en particulier les quelques employés de sa firme désormais en faillite. Selon Gilles Robillard, syndic principal chez RSM Richter, ces interrogatoires devraient en révéler davantage sur le cheminement des quelque 75 millions confiés à Earl Jones depuis une vingtaine d'années par 150 particuliers et familles de l'ouest de Montréal.

Aussi, ces interrogatoires officiels serviront à préparer celui d'Earl Jones lui-même. Selon M. Robillard, il refuse à ce jour toute collaboration avec les enquêteurs afin de retracer le «nombre important de registres qui sont manquants».

Mais en guise de consolation, hier, les victimes d'Earl Jones ont appris que ses propriétés résidentielles au Québec, en Floride et à Cape Cod avaient été saisies et seraient très bientôt mises en vente forcée.

Le gain net de ces transactions s'annonce toutefois minime, parce que ces propriétés sont hypothéquées à plus de la moitié de leur valeur combinée de 1,6 million de dollars canadiens.

Éviction

Aussi, Earl Jones et sa conjointe font face à l'expulsion dès vendredi de leur luxueux appartement de 665 000$ à Dorval, sur la rive du lac Saint-Louis.

Le principal porte-parole des victimes, Kevin Curran, s'est réjoui de cette éviction résidentielle de M. Jones.

«Ce luxueux condo riverain à Dorval qu'il s'est payé avec notre argent, c'est pas juste une résidence. Pour nous, ça symbolise le refuge de cet homme. Pourquoi pourrait-il y demeurer alors que plusieurs de ses victimes ont été dépouillées des moyens financiers pour rester dans leur propre maison?» a commenté M. Curran à La Presse Affaires.

Pour la suite, c'est dans un peu plus d'un mois, «entre le milieu et la fin d'octobre», que les enquêteurs comptables espèrent fournir de nouvelles informations aux victimes.

Entre-temps, l'enquête des limiers financiers de la Sûreté du Québec (SQ) se poursuit dans le but d'en venir à des accusations criminelles plus étoffées contre Earl Jones.

«De mon expérience, cette enquête procède plus rapidement que la moyenne à la SQ. D'ailleurs, c'est important que des accusations criminelles procèdent le mieux possible parce que les peines y sont beaucoup plus sévères que dans le cas d'accusations pénales, comme on a vu à ce jour dans le cas de Vincent Lacroix», a indiqué Gilles Robillard, en entretien avec La Presse Affaires après l'assemblée.

Autorités américaines

Par ailleurs, devant l'assemblée, M. Robillard et son principal adjoint avocat, Neil Stein, ont indiqué que les autorités américaines comme le FBI et la SEC pourraient s'intéresser à l'affaire Earl Jones, après que des citoyens américains parmi ses victimes eurent porté plainte.

Mais parmi les participants à l'assemblée, hier, plusieurs ont encore reproché à l'Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) son absence apparente de l'enquête.

Selon Gilles Robillard, l'AMF serait réticente à intervenir directement parce qu'Earl Jones fonctionnait en marge de tout le cadre réglementaire des services financiers.

En désaccord, l'avocat Neil Stein a soutenu que l'AMF pouvait porter des accusations pénales contre un individu qui, justement, offrait des services financiers sans les autorisations réglementaires requises.

Vérification faite auprès de l'AMF, son porte-parole principal, Sylvain Théberge, a confirmé que l'Autorité conservait la possibilité d'intervenir avec des accusations pénales contre Earl Jones.

«En raison des gestes qui lui sont reprochés, nous considérons encore que cette affaire relève davantage du Code criminel. Cependant, des procédures criminelles n'éliminent pas un éventuel recours d'ordre pénal de l'AMF contre Earl Jones», a conclu M. Théberge.