Après des années de croissance ininterrompue, le marché de l'eau embouteillée en Amérique du Nord et en Europe bat en retraite.

Du coup, l'un des créneaux les plus dynamiques du marché des aliments et boissons subit sa première récession. Et le diagnostic demeure nébuleux.

Saturation du marché? Impact de la récession sur les choix des consommateurs? Influence des critiques écologistes envers l'eau embouteillée, en opposition à l'eau d'aqueduc?

«Le marché est plus compétitif que jamais auparavant», admet Daniel Cotte, président des Eaux Naya, le numéro un québécois de l'eau embouteillée en contenant individuel.

Même les poids lourds de l'eau embouteillée s'en ressentent dans leurs plus récents résultats financiers.

Chez le géant européen Nestlé, qui contrôle des marques comme Vittel et Contrex, on a confirmé il y a quelques jours une autre baisse annualisée de 6% des ventes d'eau.

«La tendance est toujours à la baisse depuis quelques semestres, alors que le marché de l'eau prospérait depuis 15 ans», a commenté Denis Cans, pdg de Nestlé Eaux à la presse d'affaires française.

Chez son principal concurrent, le groupe Danone, on s'attend aussi à une autre baisse des recettes de l'eau embouteillée lors de la prochaine annonce de résultats, ce vendredi.

D'ailleurs, sa principale filiale dans l'eau, Evian, est de plus en plus seule au sein du groupe. Depuis deux ans, Danone s'est délesté en douce de toutes ses filiales d'eaux embouteillées de ce côté-ci de l'Atlantique.

La dernière en lice: la québécoise Naya, revendue le mois dernier à une société d'investissements du Connecticut, Catterton Partners, spécialisée en produits de consommation.

Recul

En rétrospective, ce désistement de Danone du marché nord-américain semble s'être produit à point nommé.

Car ce marché apparaît aligné pour une deuxième année consécutive de contraction. De l'ordre de 3% au niveau du volume d'eau embouteillée, deux fois pire que le ressac de 1% observé en 2008.

Au Canada seulement, le recul est le plus prononcé - environ 6% - dans l'important marché de l'Ontario. Au Québec, le marché ne serait encore qu'en stagnation plutôt qu'en décroissance, selon les données préliminaires de la firme de marketing AC Nielsen.

Toutefois, c'est au niveau des revenus de la vente d'eau embouteillée que le repli se fait le plus sentir.

Il s'avère presque deux fois plus prononcé que celui de la quantité de contenants d'eau vendus.

«Il y a une forte concurrence des prix aux consommateurs, surtout pour les emballages vendus dans les supermarchés», constate Daniel Cotte, des Eaux Naya.

Chez le géant Nestlé, il y a quelques jours, on a confirmé que le tiers des ventes d'eau se font maintenant lors de campagnes promotionnelles, comparativement à moins de 20% il y a deux ans.

Fin de cycle ou récession?

Mais parmi les analystes du marché des breuvages, on hésite encore à proclamer la fin du cycle de croissance de l'eau embouteillée, au lieu d'une simple récession.

«Pour le moment, toute l'industrie des breuvages est affectée par des baisses de volume et de revenus. Les embouteilleurs d'eau n'apparaissent pas encore en situation pire que les autres boissons non-alcoolisées», a commenté Gary Hemphill, analyste chez Beverage Marketing Corporation, à New York.

Par ailleurs, malgré le repli en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest, le marché de l'eau embouteillée demeure très dynamique dans les pays en développement économique.

En particulier là où l'approvisionnement en eau potable de qualité demeure douteux, comme le Mexique, la Chine et le Brésil. Et là où la classe moyenne émergente considère l'usage d'eau embouteillée comme un facteur de statut social.

À l'opposé, en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest, les embouteilleurs d'eau ont de plus en plus à contrer une image négative au niveau environnemental.

On leur reproche notamment de commercialiser une ressource réputée de bien commun, en plus de trop polluer avec le transport et l'emballage de l'eau potable déjà disponible par aqueduc.

Au Canada anglais, par exemple, plusieurs organismes municipaux et scolaires ont multiplié les interdits de vente et de distribution d'eau en bouteille dans leurs bureaux et écoles.

Au Québec, pour le moment, c'est l'Union des municipalités (UMQ) qui mène cette campagne incitative parmi ses membres.

EN CHIFFRES

12 milliards US: Valeur annualisée des ventes d'eau embouteillée en Amérique du Nord, selon les estimations de Beverage Marketing Corporation (BMC).

4%: Première baisse annualisée des ventes d'eau embouteillée aux États-Unis et au Canada après une décennie de croissance soutenue, selon les plus récentes données des firmes BMC et AC Neilsen.

775 millions: Nombre de bouteilles d'eau vendues par an au Québec, dont la moitié seulement serait recyclée, selon les estimations de Recyc-Québec.