Un mouton, puis quatre, dix, vingt... En balade en Provence, le troupeau qui croise votre route n'arrive peut-être pas sur votre chemin de façon si accidentelle que vous le croyez. Cette image rêvée pour le vacancier est parfois planifiée. Car il n'y a pas que le bonheur qui est dans le pré. Le marketing également!

«Les randonneurs et les touristes veulent le mythe du berger, affirme l'auteur et ex-publicitaire Mathyas Lefebure. L'industrie touristique veut du terroir. La filière ovine est déficitaire, donc l'administration la finance et lui demande de produire du patrimoine et du folklore. Et l'élevage des moutons fait partie de l'image de la province.»

Qui blâmer? Après tout, en vacances, on veut souvent voir... ce qu'on a souvent vu sur des cartes postales! Pour son troisième roman en chantier, Mathyas Lefebure (D'où viens-tu, berger?) souhaite aborder ce désir d'ériger et maintenir la société du spectacle. «On en veut, car on est conditionné, dit-il. On en mange.»

Mathyas Lefebure le constate particulièrement depuis 2004, année où il a quitté son travail en publicité, recherche et marketing à Montréal pour partir s'occuper de 1500 moutons en Provence. «La société des spectacles est même en Provence, note-t-il. Les 1500 moutons sur la route, les champs de lavande, on n'y échappe pas. Ça me fait me questionner sur le tourisme ailleurs.»

Le marketing est évidemment aussi dans l'appellation des produits. Agneau de Provence, Agneau de montagne... «Ce sont des initiatives d'éleveurs ou de chambres d'agriculture, note Mathyas Lefebure. Ça double la valeur du produit.»

Le berger québécois se moule lui-même à cette image. Ne va pas dans la nuance pour passer certains messages, au nom des éleveurs et de l'industrie. «Il y a une grosse polémique sur la présence du loup, donne-t-il en exemple. Ça a conduit à de la propagande pro-loup et anti-loup. Les groupes environnementalistes veulent les garder. Et les éleveurs estiment que c'est une espèce nuisible. Entre les deux, on assiste à une guerre par médias et syndicats interposés. La question est complexe. Comme j'ai une habileté à m'exprimer, je suis devenu porte-parole. Je sors ma propagande avec des phrases et des exemples-chocs. Le milieu le prendrait mal que je nuance.

«Chaque fois que les chambres d'agriculture font des événements en montagne, le président me demande de faire un laïus. Je suis convaincant.»

S'ennuie-t-il de son ancienne vie passée essentiellement au Québec? «Je n'ai plus la vocation pour travailler en publicité, répond-il. Je reviens d'ailleurs d'un bureau et j'ai suffoqué. Et je n'y suis allé qu'à des fins personnelles! Mais je ne suis pas parti contre le milieu. Je me laisse attraper en dilettante. En 2008, j'ai refait le portefeuille de vin d'une amie qui a un vignoble en Provence, entre autres.»

Depuis qu'il a quitté la pub pour la Provence, l'utilisation des médias sociaux à des fins marketing a fait son apparition. «Mais rien n'a changé! souligne Mathyas Lefebure. Les petits wizz sont encore les rois des nouveaux paradigmes. On vend de la certitude à des clients inquiets dans un marché saturé. Huit ans plus tard, c'est encore la même chose.»

Mathyas Lefebure n'égrène pas les heures que dans son cabanon du Var en veillant sur des moutons, avec sa douce et son chien. La moitié de l'année, il écrit et développe des projets en Estrie, au Québec. «Je suis un snowbird schizo, lance-t-il. Je reviens souffrir ici, car c'est la dolce vita en Provence. J'écris bien en haïssant, en souffrant.»