Pendant qu'à Washington, les négociateurs de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) consacrent toutes leurs énergies aux règles d'origine dans le secteur automobile - la ministre Chrystia Freeland a d'ailleurs prolongé, hier, son séjour à Washington pour poursuivre la discussion -, des sujets cruciaux comme l'environnement et le travail reçoivent peu ou pas d'attention. Et les attentes des spécialistes sont très peu élevées sur ces sujets, selon ce qui ressort d'un colloque sur ce thème organisé à l'UQAM par l'Institut d'études internationales de Montréal.

En 1994, l'ALENA était à l'avant-garde, un précurseur pour ses accords parallèles sur l'environnement et le travail.

Un quart de siècle plus tard, tous les accords de commerce contiennent maintenant de tels chapitres, qui vont parfois plus loin, a souligné Jean-Frédéric Morin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique internationale et professeur à l'Université Laval. « Dans les dernières années, il y a eu une explosion du nombre de clauses environnementales dans les accords commerciaux, dit-il. Il y a plusieurs dispositions qui existent ailleurs, et les partenaires de l'ALENA pourraient s'en inspirer. »

Par exemple, les nouveaux accords de commerce abordent les enjeux comme les changements climatiques ou les ressources génétiques.

Mais il y a peu de chances que l'ALENA nouvelle mouture en fasse autant, selon Geneviève Dufour, professeure à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.

« La ministre Chrystia Freeland a dit que ses références étaient le Partenariat trans-pacifique (PTP) et l'Accord économique et commercial global (AECG) avec l'Europe », dit-elle. 

Et ces deux accords innovent très peu sur ce plan.

Selon Mme Dufour, pour être moderne, l'ALENA devrait aborder la question des changements climatiques, donner préséance aux accords multilatéraux, comme celui sur le transport des matières dangereuses, et consacrer le principe de la responsabilité sociale des entreprises et celui de précaution, etc.

Mais ses attentes sont plutôt modestes à cet égard.

D'ailleurs, rien ne dit que la Commission de coopération environnementale (CCE), créée en même temps que l'ALENA, va survivre dans sa forme actuelle, selon Paolo Solano, conseiller juridique de la CCE. Cette commission a le pouvoir de produire des « dossiers factuels » lorsqu'elle juge qu'un pays membre de l'ALENA n'applique pas ses lois environnementales.

Depuis 1994, la CCE, qui est établie à Montréal, a produit 22 dossiers factuels. Elle en a quatre en préparation, dont un sur les bassins de résidus des sables bitumineux en Alberta.

PAS GRAND-CHOSE POUR LES TRAVAILLEURS

Sur le plan des lois sur le travail, l'ALENA avait aussi innové en 1994 avec la création d'une Commission de coopération en matière de travail et l'adoption de l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT). Mais cette commission est tombée en désuétude. Son bureau à Washington a fermé en 2010.

Un exemple, comme d'autres, qui force un constat, note Michèle Rioux, directrice du Centre d'études sur l'intégration et la mondialisation (CEIM) et professeure à l'UQAM.

« C'est comme pour les industries culturelles : les États se réservent le droit d'agir, mais souvent ils n'agissent pas », dit-elle.

MULCAIR VEUT FAIRE RAYER LE CHAPITRE 11

L'ex-chef du Nouveau Parti démocratique et député d'Outremont, Thomas Mulcair, était l'invité spécial du colloque. « Une entente comme l'ALENA, ce n'est pas pour l'environnement ou les travailleurs, c'est pour les multinationales », a-t-il dit.

Il s'est moqué de l'article 1114 de l'ALENA, qui ne prévoit que des « consultations » si un pays membre en soupçonne un autre d'avoir abaissé ses normes environnementales pour attirer un investissement.

Il a souhaité que le chapitre 11 de l'ALENA, qui permet entre autres aux entreprises de poursuivre les gouvernements, disparaisse au complet.

DES AUTOS PLUS CHÈRES ?

Une étude publiée hier conclut que les voitures neuves coûteraient des centaines, voire des milliers de dollars de plus à cause des nouvelles règles proposées dans le secteur de l'auto. L'étude du Centre de recherche en automobile, une organisation américaine, estime que ces règles équivaudraient finalement à une taxe de plusieurs milliards de dollars. Les négociateurs tentent de s'entendre sur une formule qui obligerait les constructeurs à inclure une certaine proportion de pièces nord-américaines et à n'utiliser que de l'acier nord-américain.

L'étude de l'institut de recherche américain estime qu'au moins 46 types de véhicules construits actuellement ne respecteraient pas ces nouvelles normes, soit beaucoup plus qu'avec les normes de l'ALENA présentement en vigueur.

Les constructeurs ont toujours le choix : se conformer aux normes de l'ALENA ou payer un tarif douanier - qui est de 2,5 % aux États-Unis et de 6,1 % au Canada pour les véhicules légers. « Ces tarifs ajouteraient entre 470 $US et 2200 $US au coût de ces véhicules légers [...] et feraient perdre entre 60 000 et 150 000 ventes annuelles aux États-Unis. » La recherche a été commandée par la Trade Leadership Coalition, un organisme financé par l'industrie automobile.

- Avec La Presse canadienne