Son nom n'a pas été prononcé une seule fois. Tout au plus a-t-on fait une timide allusion à «l'actuelle administration» à Washington. Mais l'ombre de Donald Trump a plané sur la conférence que l'ex-président Bill Clinton et l'ancien premier ministre Jean Chrétien ont donnée conjointement mercredi soir, à Montréal.

Les deux ex-politiciens ont fait un vibrant plaidoyer pour la diversité, ont appelé au respect des différences et à l'ouverture des frontières, notamment pour favoriser les échanges commerciaux.

«La clé est de convaincre les gens qu'ils peuvent conserver ce qui fait leur identité tout en respectant l'humanité des autres», a lancé Bill Clinton, dénonçant du même coup le «tribalisme» qu'il voit surgir partout dans le monde.

«Certains ont peur de voir arriver trop de gens de foi musulmane, mais quelle est la différence? Ce sont tous des êtres humains», a renchéri Jean Chrétien.

Difficile de ne pas voir dans ces déclarations des allusions aux politiques du président Donald Trump, qui prône la fermeture des frontières, particulièrement aux voyageurs issus de pays musulmans, et qui tente de renégocier les termes de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), après avoir promis de l'abolir.

«Les adultes dans la pièce»



Bill Clinton et Jean Chrétien sont tous deux arrivés au pouvoir en 1993 et ont dirigé leurs pays respectifs tout au long des années 90. C'était la décennie de la guerre civile en ex-Yougoslavie, du conflit entre catholiques et protestants nord-irlandais et des négociations de paix au Proche-Orient.

«Le danger, c'est de déshumaniser l'Autre», a souligné Bill Clinton, rappelant qu'il avait tenté, à l'époque, de trouver des solutions à ces conflits.

«Chaque élection, dans chaque société, touche à des questions d'identité», a-t-il observé. Le défi, pour chaque peuple, est d'être capable d'absorber davantage de diversité, «sans se regarder dans le miroir en criant: "Je n'existe plus!"».

De son côté, Jean Chrétien a fait valoir que «la couleur de la peau, les croyances, la religion ne font pas de différence, il faut insister sur l'égalité de tous».

Les années 90 ont aussi été celles du référendum québécois sur la souveraineté, que n'ont pas manqué d'évoquer les deux «ex». Pour Bill Clinton, «les Québécois ont fait une chose formidable en décidant de rester à l'intérieur du Canada». Il a vanté le modèle fédéral comme un système qui permet à tous de coopérer au lieu d'encourager les divisions. Et il a cité le Canada comme un pays exemplaire : «Aujourd'hui, les gens vous regardent comme si vous étiez les adultes dans la pièce.»

Aider les perdants du libre-échange

Il aurait fallu dès le début prévoir aider les perdants du libre-échange, a affirmé Bill Clinton. «Le libre-échange fait des gagnants et des perdants, a-t-il dit. Il aura fallu attendre en 2000 avant que nous le fassions aux États-Unis, parce que les républicains avaient eu ce qu'ils voulaient [avec l'ALENA], et ils n'ont pas voulu investir pour aider ceux qui souffraient.»

M. Clinton dresse un bilan globalement positif de l'ALENA et attribue les pertes d'emplois manufacturiers aux États-Unis au commerce avec la Chine. «Quand on importe un produit de la Chine, il comporte en  moyenne 5 % de contenu américain. Pour le Mexique, c'est 40% et pour le Canada, c'est 25%.»

Selon lui, les États-Unis ont hésité à s'attaquer au déficit commercial avec la Chine parce qu'au même moment, ce pays achetait 900 milliards en obligations américaines annuellement. «C'est rare qu'on choisisse de se disputer avec son banquier.»

De son côté, M. Chrétien a estimé que le commerce mondial avait créé beaucoup de prospérité, mais que celle-ci était mal répartie. «Le problème, peut-être, c'est que la richesse n'a pas été bien distribuée, a-t-il. Les riches en ont trop. Mais le libre-échange a été très bon pour le Canada.»

Les deux ex-dirigeants participent à une série de conférences organisées par le Conseil canado-américain des affaires. Cet organisme est très actif actuellement avec les négociations pour le renouvellement de l'ALENA et les conflits commerciaux qui se multiplient entre le Canada et les États-Unis.

Tout en appelant les citoyens à regarder vers l'avenir, Bill Clinton et Jean Chrétien ont évoqué avec nostalgie l'époque où les relations entre leurs pays respectifs étaient marquées par leur amitié mutuelle - tranchant avec le climat qui règne actuellement entre Ottawa et Washington.