La décision de la Réserve fédérale américaine de maintenir à un niveau quasi nul ses taux directeurs a fait plonger vendredi les marchés, plus anxieux des incertitudes autour de l'économie mondiale que soulagés du statu quo monétaire.

Les places boursières redoutaient un renchérissement du coût de l'argent, la banque centrale américaine les a entendues, et pourtant les places européennes ont décroché: Francfort a clôturé en recul de 3,06%, Paris de 2,56% et Londres de 1,34%.

De l'autre côté de l'Atlantique, Wall Street a également ouvert en nette baisse. Vers 11h45, le Dow Jones perdait 0,82% et le Nasdaq 0,35%.

Derrière une vitrine accommodante matérialisée par l'absence de relèvement des taux, ce que les investisseurs ont surtout vu, ce sont les inquiétudes de l'institution au sujet des pays émergents, Chine en tête.

«Des inquiétudes plus vives concernant la croissance en Chine et dans d'autres marchés émergents ont conduit à une volatilité sur les marchés financiers», a ainsi détaillé jeudi lors d'une conférence de presse la présidente de la Fed Janet Yellen pour expliquer cette décision, avant d'évoquer des «perspectives à l'étranger (...) devenues plus incertaines récemment».

«Le contexte intérieur ne justifiait pas un statu quo, donc si la Fed ne relève pas ses taux c'est parce qu'elle s'inquiète pour la Chine, laissant entrevoir du coup de nouvelles secousses», explique Alexandre Baradez, un analyste de IG France.

«Cette hésitation reflète une incertitude, ce qui n'est jamais bon pour les actions» et in fine «la Fed devient finalement un facteur d'instabilité, car les marchés lisent l'économie mondiale à travers elle, ce qui ne les pousse pas à rechercher le risque», analyse-t-il.

Cette décision fait naître la «crainte que les problèmes actuels en Chine puissent déteindre sur la conjoncture mondiale», note également Uwe Streich, analyste de la banque LBBW.

La Fed «a reconnu que la reprise tant escomptée n'est pas là et qu'il n'y aura pas de lendemains qui chantent», ce qui peut aussi sonner comme un «aveu d'échec implicite» de sa politique monétaire, estime aussi Christopher Dembik, un économiste de Saxo Banque, Signe de l'anxiété générale, sur le marché obligataire, traditionnel refuge en cas d'agitation les taux d'emprunt se détendaient nettement.

Vers 11h50 (HE), le taux d'emprunt à 10 ans de l'Allemagne reculait à 0,667%, contre 0,781% jeudi soir sur le marché secondaire, où s'échange la dette déjà émise. Celui de la France à 1,034% (contre 1,164%), de l'Espagne à 1,940% (contre 2,092%), de l'Italie à 1,759% (contre 1,904%), mais également des États-Unis à 2,162% (contre 2,190%) suivaient la même pente.

À la même heure, sur le marché des changes, l'euro s'échangeait à 1,1351 dollar face au billet vert, contre 1,1436 dollar jeudi vers 17h.

La monnaie européenne s'est un peu repliée en cours de journée. Elle avait progressé nettement jeudi soir, après la décision de la Fed et les déclarations de sa présidente.

«La confiance dans la reprise économique mondiale a reçu un nouveau coup jeudi soir», alors qu'«il y avait un certain optimisme sur le fait que les indicateurs américains étaient suffisamment bons pour justifier une hausse», relève aussi de son côté Jameel Ahmad, spécialiste des changes chez FXTM.

La Bourse de New York avait déjà affiché sa perplexité jeudi soir, mais sans décrocher. En Asie, en revanche, la tonalité générale était plutôt au soulagement, avec une hausse de 0,38% à Shanghai ou de 0,30% à Hong Kong, à l'exception notable de Tokyo plus en phase avec les craintes des marchés européens.

Autre objet d'appréhension pour les cotes européennes et japonaises, la question dès lors toujours pas réglée du calendrier de la remontée des taux directeurs américains.

En ne franchissant pas le Rubicon, l'institution relance en effet le feuilleton à suspense qui tenait déjà en haleine les marchés depuis des semaines.

«Le suspense insoutenable vient donc de prendre fin... pour mieux recommencer...», observe ainsi Philippe Cohen, un analyste de Barclays Bourse. Et d'ajouter: «En résumé, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés qu'hier...»