Partenariat avec Facebook, préparation de spectacles permanents en Chine, à New York et à Londres, nouvelle filiale d'événements «sur mesure»: le Cirque du Soleil accélère la cadence depuis son rachat par des intérêts étrangers, il y a trois mois. Daniel Lamarre, le grand patron du Cirque, fait le bilan pour la première fois depuis cette mégatransaction.

Un mois après l'annonce d'un premier spectacle permanent en Chine, le Cirque du Soleil a déjà été pressenti par une demi-douzaine d'autres villes chinoises. La troupe québécoise envisage même de «dupliquer» d'anciens spectacles pour répondre à cette demande effrénée, une première dans son histoire.

«Sur Broadway, quand tu as un succès, tu multiplies tes succès, a indiqué Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque, en entrevue à La Presse Affaires. Si tu fais Lion King, tu peux avoir six versions. Nous, on a eu d'énormes succès et on veut voir s'il n'y a pas une façon de faire en Chine une duplication de nos grands succès.»

Le Cirque n'avait jamais envisagé de recycler d'anciens spectacles depuis sa création en 1984. Mais la donne a changé en avril dernier lorsqu'un consortium formé du fonds d'investissement américain TPG et du géant chinois Fosun a racheté la majorité du groupe québécois, une transaction évaluée à 1,5 milliard US.

«Nous ne voulions pas le faire à l'époque [reprendre des spectacles], mais aujourd'hui, dans notre nouvelle stratégie d'affaires, c'est quelque chose qu'on veut regarder», a résumé M. Lamarre, qui accordait sa première entrevue-bilan depuis la vente du Cirque.

Fosun - qui détient 20% du Cirque contre 60% pour TPG - pourrait ouvrir toutes grandes les portes de la Chine au groupe québécois, espère Daniel Lamarre. La troupe a déjà annoncé un premier spectacle permanent à Hangzhou en 2018, Toruk, inspiré du film à succès Avatar.

La «priorité numéro 1»

Après une tournée nord-américaine qui s'ébranlera à Montréal en décembre prochain, le spectacle prendra le chemin de la Chine. 

«Si on a du succès avec Avatar, ça va représenter une bonne carte de visite pour constituer une base de clientèle en Chine, avance M. Lamarre, rencontré dans son bureau au siège social du Cirque. En 2017, on fait la tournée, en 2018, on ouvre Hangzhou, et j'espère dans la même foulée faire des annonces d'autres spectacles permanents en Chine.»

L'empire du Milieu représente sans contredit la «priorité numéro 1» pour le Cirque du Soleil. Daniel Lamarre y retournera dans deux semaines pour rencontrer les représentants d'une demi-douzaine de villes intéressées à accueillir un spectacle permanent. «Je fais six villes en quatre jours. C'est une rencontre après l'autre.»

Ces visées chinoises en laissent certains sceptiques. Dans une longue analyse publiée en avril, Bloomberg a émis plusieurs doutes quant au potentiel du Cirque dans le pays le plus peuplé de la planète. 

L'agence financière souligne que la plupart des grandes villes chinoises ont déjà d'excellentes troupes d'acrobates, qui offrent des spectacles pour moins cher que ce que pourrait exiger le Cirque.

Bloomberg rappelle aussi que le Cirque a dû interrompre son spectacle permanent dans l'enclave chinoise de Macao, en 2012, en raison des ventes de billets fort décevantes.

Qu'à cela ne tienne, le Cirque mise gros sur le pouvoir de son nouvel actionnaire Fosun - plus important conglomérat privé de Chine - pour faire mousser l'intérêt. La troupe dit avoir obtenu la plus importante couverture de presse de son histoire en Chine après l'annonce du spectacle de Hangzhou, au point de recevoir «quatre ou cinq appels» de partenaires potentiels tous les jours.

Le Cirque inaugurera en outre un bureau à Shanghai, l'automne prochain, pour soutenir la croissance espérée dans ce pays.

«Deux turbos»

Dans l'immédiat, Daniel Lamarre reconnaît que l'intégration du Cirque dans le giron de ses nouveaux propriétaires se déroule «beaucoup plus rapidement» qu'il ne l'aurait pensé. «Je disais à un ami en fin de semaine que j'ai l'impression d'avoir deux turbos maintenant dans le moteur du Cirque du Soleil», dit-il en faisant allusion à TPG et Fosun.

TPG, fonds d'investissement de San Francisco qui possède un éventail de 300 sociétés, a d'importantes entrées dans la Silicon Valley. Cet actionnaire a déjà organisé plusieurs rencontres avec des partenaires potentiels, dont Facebook, qui s'est rendu deux fois dans les bureaux montréalais du Cirque 

«Sincèrement, je ne pensais pas que ça irait aussi vite que ça, dit Daniel Lamarre. Chaque fois que je vais à San Francisco, ils me présentent à de nouvelles personnes, de nouveaux partenaires potentiels. La force du réseau me surprend. Je le savais d'instinct, il suffit de lire sur eux pour comprendre, mais c'est une chose de le lire et c'en est une autre de le vivre.»

Le président du Cirque - devenu actionnaire de l'entreprise après le rachat - tient par ailleurs à écarter toutes les craintes de voir le siège social du groupe quitter Montréal. «Ça n'a jamais été un enjeu. Vous n'avez qu'à regarder autour de vous, le building ici, il n'y a personne qui va acheter cette entreprise-là et dire: je vais aller bâtir la même chose ailleurs. Ce serait ridicule, parce que ça fait partie de ce que tu achètes.»

Le dirigeant a interprété comme un «geste d'amour» la réaction épidermique des Québécois à la vente du Cirque. 

Outre les nouveaux actionnaires majoritaires, la Caisse de dépôt et placement du Québec a acquis 10% des actions du Cirque, tandis que le fondateur Guy Laliberté a conservé une participation de 10%.

Les quatre priorités du Cirque

Avec les nouveaux actionnaires du Cirque du Soleil, le grand patron Daniel Lamarre a établi quatre priorités bien précises pour assurer la croissance future de l'entreprise.

1- La Chine

Le Cirque compte profiter de la forte influence de son actionnaire minoritaire Fosun - le plus grand conglomérat privé en Chine - pour étendre ses tentacules dans l'empire du Milieu. Une série de spectacles permanents est envisagée à partir de 2018. « C'est un marché où on était très peu présents, et on devrait avoir un axe de croissance très important », dit Daniel Lamarre.

2- New York

L'objectif du Cirque est clair : installer un spectacle permanent au plus vite dans la Grosse Pomme. Daniel Lamarre espère pouvoir faire une annonce au cours des prochaines semaines. « On y a ouvert un bureau il y a un an et, déjà, on est à confirmer des ententes qui devraient nous permettre d'avoir une présence beaucoup plus grande à New York. »

3- Londres

L'installation d'un spectacle permanent dans la capitale britannique constitue une suite logique à l'implantation prévue à New York, dit Daniel Lamarre. L'horizon est toutefois un peu plus éloigné.

« On est là aussi en négociations pour amener plus de contenus à Londres. Ce n'était pas normal que dans les deux plus grands marchés de spectacles, New York et Londres, on ait seulement une présence sporadique. »

4- Les médias numériques

Daniel Lamarre ne s'en cache pas : le Cirque s'est toujours montré très - et peut-être trop - timide sur les médias sociaux. Le nouvel actionnaire TPG, installé au coeur de la Silicon Valley, pourrait changer la donne.

« Qu'est-ce qu'on peut faire dans les médias sociaux et avec toutes les nouvelles formes de contenu, comment on peut faire pour réussir à monétiser ces contenus-là ? », demande le dirigeant.

Facebook au Cirque

Les représentants de Facebook ont effectué deux visites au siège social montréalais du Cirque du Soleil ces derniers mois, l'un des nombreux efforts en vue d'augmenter massivement la présence du groupe sur les réseaux sociaux, a appris La Presse Affaires.

Facebook souhaite « établir une collaboration » avec le groupe québécois, a avancé en entrevue Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque. « Ce sont des discussions qui devraient débloquer assez rapidement sur des projets conjoints. »

Daniel Lamarre le reconnaît : le Cirque accuse un retard dans le monde numérique. « Historiquement, on était peut-être un peu trop jaloux de nos contenus et, ce faisant, on se privait d'une présence sur les médias sociaux. »

Les choses promettent toutefois de bouger, et vite, avec le nouvel actionnaire de contrôle, TPG. Ce fonds d'investissement basé à San Francisco possède un portefeuille de 300 entreprises et des contacts de haut niveau dans la Silicon Valley. L'objectif prioritaire duCirque : rejoindre les jeunes, qui consultent de moins en moins les médias traditionnels.

« Ça, c'est un changement majeur que vous allez voir au cours des six prochains mois, de nous assurer qu'on a une bien plus grande présence sur les réseaux sociaux, qu'on diffuse davantage nos contenus et même qu'on invente des contenus pour les réseaux sociaux », a indiqué Daniel Lamarre.

Le Cirque a, par exemple, lancé un projet-pilote avec le géant sud-coréen Samsung. « On a pris du contenu de Kurios , notre dernier spectacle, qu'on a placé dans un environnement virtuel, et ça nous a montré beaucoup de potentiel de croissance pour nous, affirme le dirigeant. Je dirais qu'à l'interne présentement, il y a beaucoup d'investissements qui se font à ce niveau-là. » À terme, l'ambition duCirque est d'arriver à « monétiser » ses abondants contenus sur de nouvelles plateformes.