Toute la semaine, Francis Vailles se penche sur la Finlande, une nation dont les parallèles avec le Québec sont frappants.

Helsinki, jeudi 18 septembre, 10h45. Je suis à l'urgence de l'hôpital universitaire de la ville (HUS). Il n'y a pas un chat.

En fait, seule une patiente obèse attend d'être appelée par l'infirmière au triage. Après quelques minutes, l'infirmière, expérimentée, s'informe de ses problèmes, lui fait un test de glycémie, la rassure et la laisse partir.

En venant ici, j'étais impatient de voir les urgences. Après tout, la Finlande et le Québec ont la même richesse par habitant, un chômage semblable et une crise des finances publiques. Les deux nations, avec une population vieillissante, ont aussi un système bien plus égalitaire que les États-Unis. Pourquoi n'auraient-ils pas un système de santé aux problèmes similaires?

À 10h47, un ambulancier entre en poussant une civière avec un patient. Probablement un accident d'automobile. Il poursuit son chemin, entre dans l'ascenseur et disparaît.

À 11h15, il y a quatre patients dans la salle. Je prends un numéro et attends. À 11h21, c'est déjà mon tour. Je rêve?

L'urgence en question, m'explique-t-on, n'est pas à proprement parler celle de l'hôpital. Il s'agit d'une clinique adjacente qui traite une partie des situations semblables à nos cliniques sans rendez-vous, soit les cas relativement mineurs (fractures, coupures nécessitant des points de suture, forte fièvre, etc.).

Le médecin-chef adjoint du HUS, Timo Suonsyrjä, et un gestionnaire des communications, Paavo Holi, m'avaient précédemment fait visiter les vraies urgences de l'hôpital, où seuls certains cas graves sont transférés. Mais là encore, c'était le calme plat. Et il n'y avait pas de civières dans le passage, bien entendu.

À la clinique comme à l'hôpital, on m'explique que cette faible affluence est anormale. Chose certaine, me dit-on, la clinique se remplira après 16h lorsque les travailleurs auront terminé leur journée et qu'en plus, une autre clinique d'Helsinki fermera jusqu'au lendemain.

Normalement, le temps d'attente pour recevoir des traitements à l'urgence peut prendre d'une à deux heures, selon les régions. Au début de septembre, un Québécois qui vit en Finlande a dû patienter trois heures à l'urgence pour ce qui s'est avéré être une phlébite à une jambe.

N'empêche, la situation n'a rien à voir avec nos urgences, notamment à Montréal. Comment expliquer cette différence, alors que le système finlandais coûte moins cher qu'au Québec (9,1% du produit intérieur brut comparativement à 11,5% au Québec)?

Des salaires plus faibles

D'abord, réglons la question comptable. La Finlande peut se permettre plus de médecins et d'infirmières par 1000 habitants tout simplement parce que l'État les paie beaucoup moins cher.

Selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les médecins généralistes finlandais gagnaient en moyenne la moitié du salaire de leurs semblables au Canada. Selon cette étude, dont les données remontent au milieu des années 2000, les médecins finlandais gagnaient alors 1,8 fois le salaire moyen des travailleurs du pays, comparativement à 3,2 fois au Canada.

On ne pourrait probablement pas payer nos médecins ainsi au Québec, avec la fuite possible vers les autres provinces ou les États-Unis. Tout de même, l'écart est énorme.

Non seulement la Finlande a plus de médecins par 1000 habitants, mais encore son service de première ligne est mieux développé. Les municipalités finlandaises, de qui relève la santé, offrent d'abord des services de base dans des centres locaux de santé (vaccination, contraception, services liés à la maternité, problèmes chroniques, soins de base aux enfants, santé mentale, etc.). Sur place, on vous donnera rendez-vous selon le degré d'urgence de vos problèmes (une heure, un jour, une semaine, etc.)

Ces centres, au nombre de 172, peuvent parfois diriger un patient à un médecin spécialiste, mais ils ne traitent généralement pas les accidents (fractures, etc.). Pour de tels cas, il faut se rendre à l'urgence des cliniques ou à l'hôpital.

En contrepartie, dans les cliniques comme celle affiliée au HUS, si l'infirmière au triage juge que le problème n'est pas urgent, elle peut renvoyer le patient à son centre local.

Autre élément qui peut contribuer au désengorgement: à l'école, les jeunes Finlandais doivent tous suivre des cours d'éducation à la santé. Les cours sont obligatoires entre 13 et 15 ans, à raison d'environ une leçon par semaine. Ces futurs patients apprennent comment vivre sainement.

40$ pour l'urgence

Autre grande différence, et non la moindre: les services de santé dans ce pays très égalitaire ne sont pas gratuits. À l'extérieur des centres locaux de santé, essentiellement, les adultes doivent payer.

Par exemple, à Helsinki, les adultes doivent débourser l'équivalent de 20$ le jour pour avoir droit aux services d'urgence des cliniques. En soirée, c'est 40$. À l'urgence de l'hôpital, c'est toujours 40$. Un séjour dans un lit d'hôpital pendant une journée coûte 50$.

«Cela contribue à freiner le recours aux services de santé. Les moins nantis doivent s'adresser aux services sociaux pour les frais», dit Arto Salo, un gestionnaire dans le secteur de la santé de Turku, ville située à deux heures à l'ouest de Helsinki.

Les frais ne sont pas appliqués seulement pour l'urgence. Il y a quelque temps, Paavo Holi s'est fait opérer à l'oeil droit pour une cataracte. «Je m'en suis tiré avec une facture de 99 euros (environ 140$)», dit-il. Selon la facture, il a ainsi payé environ 7% du coût de l'opération (1350 euros). De fait, il s'agit de la proportion que paient les patients en Finlande, en moyenne.

Système de cliniques privées

La Finlande a aussi un système de cliniques entièrement privées, où il faut payer le plein prix (l'État en rembourse une petite partie après coup). Les services y sont plus rapides ou de meilleure qualité. Ces cliniques sont fréquentées par les nantis ou ceux qui ont une assurance de leur employeur.

L'État leur achète parfois des services, comme ce fut le cas pour la cataracte de Paavo Holi, ce qui fait concurrence au public. Comme au Québec, le système privé a toutefois pour effet de raréfier le nombre de médecins au public, ce qui pose problème.

Résultat de l'ensemble de ces mesures: les Finlandais sont parmi ceux qui consultent le moins leur médecin dans les pays industrialisés (0,58 visite par année, comparativement à 0,77 au Canada et 0,86 en France). Pas étonnant que les urgences soient tranquilles.

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Comparaison québec-finlande: la santé

Finlande | Québec | Canada | États-Unis

Dépense de santé en % du PIB (2012) 9,1% | 11,5% | 10,9% | 16,9%

Médecins par 1000 habitants (2012) 3,3 | 2,7 | 2,5 | 2,5

Infirmières par 1000 habitants (2012) 10,4 | 9,9 | 9,3 | 11,1

Part du privé en santé (2012) 25% | 29% | 29% | 52%

Source : OCDE, La Presse, CIRANO et Social-démocratie 2.0