L'OCDE a publié mardi à destination du G20 une première salve de recommandations contre l'optimisation fiscale, ces stratégies sophistiquées et le plus souvent légales permettant aux multinationales de payer le moins d'impôts possible.

Les sept premiers éléments du plan d'action contre «l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices» vont «changer les règles du jeu», a promis Pascal Saint-Amans, responsable du dossier à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le siège est à Paris, en les présentant à la presse.

«Ce n'est pas du blabla consensuel», a-t-il assuré, même si l'application de ces recommandations dépend entièrement de la bonne volonté des États. Huit autres mesures doivent être présentées l'an prochain. Certaines d'entre elles pourraient être appliquées d'ici à fin 2015 espère l'OCDE.

Les recommandations seront présentées aux ministres des Finances du G20, groupe des économies les plus puissantes, à Cairns (Australie) les 20 et 21 septembre.

Elles concernent au total 44 pays (les membres de l'OCDE, club des pays les plus riches, les pays du G20 et les pays en voie d'adhésion).

En sept livrets dont le plus volumineux, consacré au secteur numérique, fait près de 200 pages, l'OCDE formule des recommandations extrêmement techniques pour «rétablir la souveraineté fiscale», a assuré M. Saint-Amans.

En clair, les bénéfices doivent être imposés là où ils sont réalisés, et plus question de détourner les conventions fiscales conclues entre les pays pour éviter les «doubles impositions» dans le but de créer des «doubles exonérations».

Des multinationales comme Google et Starbucks sont souvent données en exemple de ces pratiques, avec leurs savantes stratégies fiscales aux noms curieux : «double hollandais» ou «sandwich irlandais».

L'OCDE appelle à «neutraliser» les «montages hybrides», par lesquels une entreprise joue une législation fiscale contre l'autre afin de bénéficier de plusieurs déductions ou de plusieurs crédits d'impôt simultanément.

Économie numérique

Les observations de l'OCDE font la part belle à l'économie numérique. Travaillant presque exclusivement avec des actifs immatériels (marques, brevets, algorithmes), les entreprises du secteur peuvent faire «naviguer» leur activité d'un pays à l'autre beaucoup plus facilement qu'un constructeur automobile par exemple, avec ses machines et ses entrepôts.

Dans ce domaine, l'OCDE n'a pas trouvé «l'arme fatale» et a tout au plus obtenu une «compréhension commune», prévient M. Saint-Amans.

Les 44 pays rassemblés sous la houlette de l'OCDE ont par ailleurs adopté un modèle de déclaration fiscale «pays par pays» pour les entreprises. Ce document indiquera le chiffre d'affaires, le bénéfice, le personnel et l'impôt payé dans chaque État.

Mais cette déclaration ne sera transmise qu'aux administrations fiscales et non rendue publique, contrairement à ce que souhaitaient de nombreuses organisations non gouvernementales, pour lesquelles une plus grande transparence accroît la pression sur les entreprises.

«Cette omission risque de limiter l'efficacité du plan d'action de l'OCDE», a estimé Friederike Röder, directrice de ONE France, l'ONG du chanteur Bono.

Pour l'ONG de lutte contre la corruption Financial Transparency Coalition, «la non-publication de ces importantes données exclut (les consommateurs, NDLR) de la chaîne et les empêche de vérifier si les entreprises paient leur juste part d'impôts».

L'OCDE veut aussi «améliorer la documentation des prix de transfert», afin d'éviter qu'une entreprise fixe des tarifs farfelus pour déplacer des sommes d'argent d'une filiale à l'autre (redevances, facturation de matières premières, etc.). Le but étant de diriger des bénéfices vers des boîtes aux lettres situées dans les paradis fiscaux.

L'OCDE estime que cette technique permet à des entreprises américaines de conserver 2.000 milliards de dollars hors de portée du fisc, notamment aux Bermudes.

Frictions

Autre avancée, selon l'OCDE : les États concernés ont décidé de combattre la pratique du «chalandage fiscal», par lequel une entreprise cherche le régime le plus propice pour faire transiter ses fonds ou établir son siège.

Le «chalandage» a pour effet par exemple que de nombreuses implantations en Europe se font à partir des Pays-Bas, où le géant américain de la vidéo Netflix compte par exemple installer l'an prochain son site européen.

Les États concernés ont estimé qu'il était possible de mettre en oeuvre certaines recommandations de l'OCDE via un accord multilatéral.

Les travaux de l'OCDE ont aussi mis en évidence des points de friction.

En particulier, les États n'ont pas trouvé de position consensuelle en ce qui concerne les régimes fiscaux avantageux accordés par certains pays, par exemple le Royaume-Uni à partir d'avril 2013, aux entreprises qui exploitent des brevets. La Commission européenne a également ces pratiques dans son viseur, et a récemment demandé à neuf pays des informations sur ces «boîtes à brevets».