Après les États-Unis en 2008 et l'Europe ces dernières années, la Chine est à son tour tourmentée par une crise financière qui, même si elle est moins profonde, a secoué les Bourses de la planète la semaine dernière.

La Bourse de Shanghai, par exemple, a plongé de plus de 5% le lundi 24 juin et tout autant le matin suivant, entraînant d'autres marchés dans son sillon.

Beaucoup d'investisseurs ont été choqués d'apprendre que le crédit interbancaire, soit les prêts que les banques se font entre elles pour financer leurs activités quotidiennes, était presque paralysé en Chine, alors que les taux exigés pour ces prêts ont franchi brièvement le seuil insoutenable des 13% il y a 10 jours.

Bref, le système bancaire de la deuxième économie mondiale a presque figé.

Cette tempête, qui s'est calmée rapidement au milieu de la semaine après l'intervention de Pékin pour rassurer les marchés, est la conséquence de la prolifération des prêts non officiels en Chine, ou le crédit alternatif (shadow banking) offert par des institutions non réglementées, aussi surnommées «banques occultes»

Selon des experts, dont ceux de la firme Fitch, ce phénomène risque cependant de plonger la Chine dans une grave crise si les autorités n'arrivent pas à le contenir.

Prêts à gogo

Voici d'abord, sommairement, comment fonctionne le système bancaire en Chine.

Celui-ci comporte deux niveaux: le premier officiel et le second informel, mais néanmoins légal. D'un côté, il y a les banques officielles, qui sont contrôlées par l'État et soumises à des règles strictes (réserves obligatoires, plafond de crédit, etc.).

De l'autre, un système parallèle qui s'est développé depuis 25 ans avec l'ouverture de la Chine à l'économie de marché. On y trouve des fiducies, des assureurs et des prêteurs sur gages notamment, mais leurs activités n'entrent pas dans les chiffres officiels.

Ces groupes sont souvent contrôlés par des administrations régionales qui, elles, ont un accès facile au crédit du gouvernement central. Sur ce marché qui fleurit dans l'ombre, prêter est un business très payant car le crédit informel, consenti surtout à des PME et à des entrepreneurs boudés par les banques d'État, est offert à des taux nettement plus élevés que les taux officiels.

Le phénomène s'est accéléré depuis trois ans, soit après que Pékin a ouvert les vannes du crédit pour relancer l'économie alors affectée par la crise financière américaine de 2008-2009. Le but des autorités était de financer des projets d'infrastructures, mais cet argent sert aujourd'hui à d'autres fins, dont la spéculation immobilière.

Le crédit informel est évalué par la banque américaine JPMorgan Chase à 5800 milliards US, ce qui représente près de 70% du produit intérieur brut (PIB) de la Chine! Or, en l'absence de règles strictes, il est difficile de connaître la qualité de ces créances.

Si une grande part de ces prêts devenait toxique, l'impact sur le système financier serait majeur, selon les économistes.

Asphyxie bancaire

De plus en plus critiqué, le crédit alternatif a commencé à contaminer le système financier chinois ces dernières semaines alors que les banques, de plus en plus nerveuses, exigeaient des taux de plus en plus élevés pour se prêter entre elles.

Curieusement, c'est la banque centrale chinoise, la Banque Populaire de Chine, qui a mis le feu aux poudres, il y a une dizaine de jours, en affirmant sa volonté de remettre de l'ordre dans le marché du crédit.

Son message a provoqué une flambée des taux interbancaires, surtout que la banque centrale refusait d'injecter des fonds dans le marché. Les taux au jour le jour ont frôlé les 14% à leur sommet, menaçant de paralyser le système financier. Ils sont revenus depuis autour de 7% lorsque les autorités ont finalement calmé le jeu, mercredi dernier, en promettant de financer les banques «en bonne santé». Le niveau des taux interbancaires demeure cependant supérieur de 3 ou 4% à la moyenne historique.

Il reste que Pékin vient de se lancer dans une opération délicate. Le gouvernement est déterminé à rependre le contrôle du crédit afin de ne pas répéter les erreurs des Américains et des Européens. Mais les marchés financiers ont l'épiderme sensible, et on risque de freiner la croissance chinoise déjà en perte de vitesse.

«La banque centrale est prête à payer le prix à court terme pour maintenir une croissance durable à long terme», explique dans une note financière Mark Williams, de Capital Economics.

D'autres soubresauts ne sont pas exclus cependant. «Quand le crédit atteint des niveaux aussi élevés, c'est difficile de désamorcer le processus de manière ordonnée», prévient Michael Pettis, professeur de finance à l'Université de Pékin. À suivre...

La Chine en chiffres

5800 milliards US: Valeur du crédit informel en Chine, selon JPMorgan Chase, ce qui représente près de 70% de l'économie.

30 milliards US: Valeur mensuelle moyenne des prêts informels consentis de janvier à avril en Chine, soit un bond d'environ 70% en un an, selon l'agence Fitch.

Près de 14%: Niveau atteint ce mois-ci par les taux interbancaires en Chine, soit le taux auquel les banques se prêtent des fonds au jour le jour.