De plus en plus d'investisseurs tournent le dos aux économies émergentes, liquidant leurs placements à un rythme inégalé en deux ans.

Actions, devises, obligations... on vend de tout. Durant les trois semaines ayant précédé le 12 juin, quelque 19 milliards US ont été retirés des fonds d'investissement spécialisés dans les marchés émergents, selon la firme EPFR Global. Un sommet depuis le milieu de 2011.

Des exemples: les étrangers ont vendu plus de 5,6 milliards US de fonds d'actions brésiliennes et 3,2 milliards US d'obligations de l'Inde; la roupie indienne est tombée à un creux historique par rapport au billet vert américain, et le real brésilien pique du nez, selon Bloomberg.

Si bien que l'indice boursier JPMorgan Chase des pays émergents accuse un repli d'environ 4% depuis le 1er avril, tandis que les marchés européens et américains restent dans le vert.

Un autre indice de référence, le MSCI Marchés émergents (EM), vient d'enregistrer sa cinquième semaine de baisse d'affilée. Les Bourses émergentes ont même creusé leur retard par rapport aux pays développés dans les derniers jours de grande turbulence. Le MSCI/EM est en baisse de 14% depuis le début de l'année, alors que le MSCI Monde, qui comprend les Bourses occidentales, marque un gain de 6,5%.

«La croissance des marchés émergents a déçu [...] notamment en Chine et au Brésil», résume Roland Kaloyan, stratégiste chez Société Générale.

La Fed donne le signal

Il reste que les investisseurs avisés ne sont pas surpris par cette brusque inversion de la demande pour les marchés émergents.

À l'origine de cette ruée vers la sortie: la Réserve fédérale américaine (Fed). Conformément aux attentes des spéculateurs, qui avaient anticipé la décision, la Fed a annoncé mercredi dernier qu'elle veut réduire son soutien à l'économie américaine.

La banque centrale américaine arrose le système financier de 85 milliards US chaque mois, et une partie de ces fonds a migré vers les régions émergentes qui offraient de meilleurs rendements. Mais si ses prévisions se confirment, la Fed fermera le robinet graduellement d'ici la fin de 2014. Terminé alors le crédit américain bon marché.

Pas surprenant que, depuis mercredi, ça va de mal en pis sur les parquets boursiers de Manille, São Paulo et Hong Kong.

D'autres raisons expliquent la perte d'intérêt pour les «émergents». D'abord, les actifs des pays développés deviennent plus attrayants. Et surtout, il y a des signes manifestes d'une décélération économique.

Prenons l'Inde, dont le taux de croissance annualisé s'élève aujourd'hui à 4,5% - sa pire performance en 10 ans - comparativement à 7,7% en 2011.

L'économie du Brésil, première puissance d'Amérique latine, n'a progressé que de 0,6% au premier trimestre, alors qu'on nous avait habitués à des taux deux à trois fois supérieurs il y a trois ou quatre ans.

Même la Chine inquiète. L'indice PMI manufacturier s'est contracté en juin à son plus bas depuis neuf mois. Cet indicateur ressort ainsi à 48,3. En mai, il était passé sous le seuil de 50 qui sépare l'expansion de la contraction.

En mai également, les exportations chinoises ont enregistré leur hausse la plus faible en près d'un an (" 1%), résultat de la demande moindre des pays développés et des partenaires asiatiques.

Un essor artificiel

Bref, on constate maintenant que l'essor de certains pays émergents a largement été le fruit d'une injection massive de fonds publics dans l'économie ou d'une expansion du crédit après la crise financière de 2008-2009.

Maintenant que les effets de ces politiques se dissipent, des fissures apparaissent dans les BRIC, telles que l'inflation persistante en Inde ou une crise du crédit bancaire en Chine. Sans compter que certains pays tardent à entreprendre les réformes requises pour assurer leur croissance future.

«Les risques de ces marchés ont été largement sous-estimés», relevait Richard Bernstein, directeur de Richard Bernstein Advisors, au cours d'une récente conférence à New York.

Et il y a les tensions sociales. Les énormes manifestations ces derniers temps en Turquie et au Brésil, certes pour des raisons bien différentes, ravivent une veille image d'instabilité dans ces régions.

De sorte que la communauté financière redécouvre les risques associés aux pays émergents. Avec des effets prévisibles: en Turquie, par exemple, les rendements des obligations souveraines à deux ans ont bondi de 190 centièmes en un mois et frôlent le seuil critique de 7%.

Au final, des experts sont très pessimistes. «Ce que vous voyez, ce ne sont que les fissures des premières secousses. Quelque chose de gros s'en vient», prévient Stephen Jen, cofondateur de SLJ Macro Partners, dans un entretien avec Bloomberg.

Des propos alarmants, peut-être trop certes. Il reste que les économies plus dynamiques de la planète ralentissent, et tout le monde devra en tenir compte.