Durant la dernière décennie, les salaires ont doublé en Asie et pratiquement triplé en Chine, selon l'Organisation internationale du travail (OIT). Ça se compare à une hausse d'à peine 5% dans les économies développées. Et ce n'est pas fini. Les conflits de travail se multiplient, surtout en Chine où les ouvriers exigent de meilleures conditions. Avec la fin du cheap labour qui se profile en Asie, les produits importés devront aussi être plus chers.

Le port de Hong Kong peut sembler bien loin pour beaucoup d'Occidentaux. Pourtant, le présent bras de fer entre les débardeurs et l'administration du troisième port asiatique est une confrontation majeure dont les secousses seront ressenties partout dans le monde.

«Superman» contre les ouvriers, ont résumé certains observateurs. Le célèbre milliardaire hongkongais Li Ka-shing, affublé de ce surnom en raison de ses succès dans les affaires, est au centre, à 84 ans, de l'un des conflits de travail les plus durs d'Asie.

Une partie des ouvriers du port de Hong Kong, travaillant pour l'une de ses sociétés, se sont mis en grève le 28 mars en exigeant une hausse de salaire de 23%. La direction leur offre trois fois moins - soit 7% - et aurait menacé de licencier des grévistes. Ces deniers jours, le ton a monté, alors que le port a embauché des «scabs» pour décongestionner les quais débordant de conteneurs.

Ce conflit, qui semble dans l'impasse, est un champ de bataille symbolique pour des millions de travailleurs en Chine et ailleurs en Asie. Aux yeux des analystes, c'est surtout une vitrine montrant plus globalement l'évolution du portrait social et économique de la région.

Salaire deux fois plus élevé

Avec des coûts immobiliers devenus prohibitifs dans plusieurs villes, des changements dans les habitudes de consommation et le tarissement des sources de main-d'oeuvre bon marché, surtout en zones rurales, les revendications salariales se multiplient en Asie.

L'Organisation internationale du travail (OIT) a récemment publié un rapport montrant qu'au cours de la décennie (écoulée en 2011) les salaires réels - ajustés pour refléter le pouvoir d'achat - avaient doublé en Asie, pratiquement triplé en Chine. Ça se compare à une hausse d'à peine 5% dans les économies développées.

Et ce n'est pas terminé.

Dans un récent sondage de la firme américaine Global Sources auprès de 1546 entreprises en Chine, les exportateurs mentionnent que la hausse des coûts de production et des salaires est leur plus grand défi.

Et pour cause. Au rythme où vont les choses, les employeurs chinois devront augmenter leurs prix pour maintenir leur marge de profits, au risque que «l'usine du monde» perde son avantage concurrentiel sur les marchés mondiaux.

Ça signifie, à plus ou moins long terme, des prix plus élevés pour les consommateurs. «Les manufacturiers [en Chine] ne sont plus capables d'absorber les coûts de main-d'oeuvre et devront ultimement hausser les prix pour leurs clients à l'Ouest», écrit Frederic Neuman, économiste pour la Banque HSBC à Hong Kong et ancien conseiller à la Banque mondiale.

»Une grève par jour»

Dans la région industrielle de Shenzhen, ville de 10 millions d'habitants en Chine, la grogne ouvrière gagne du terrain.

«Il éclate en moyenne une grève par jour à Shenzhen et leur nombre est en augmentation constante... Peu de gens sont au courant de cette agitation sociale parce que la presse chinoise n'en fait presque jamais état», souligne He Yuancheng, avocat du Forum de négociation collective, cité par l'agence AFP.

Pour comprendre ce qui motive les travailleurs à sortir dans la rue, il suffit de regarder les coûts du logement. Les prix des maisons se sont encore emballés en Chine en mars, selon le Bureau national des statistiques. Sur les 70 villes que Pékin suit de près, 68 ont connu, sur un an, une hausse. Dans les grandes villes, les augmentations sont particulièrement brutales: 11,1% à Canton, 8,6% à Pékin et 6,4% à Shanghai.

C'est sans compter la hausse des prix des aliments, de l'énergie et de plusieurs biens courants depuis deux ans.

Voyant la pression monter, des employeurs chinois et des multinationales étrangères ont commencé à déménager leur production vers des pays où la main-d'oeuvre est encore moins chère qu'en Chine. Mais les salaires ont aussi commencé à grimper dans ces régions.

En Asie du Sud-Est, au moins cinq pays - dont le Cambodge, l'Indonésie et la Malaisie - ont décrété depuis un an des hausses importantes du salaire minimum pour refléter la hausse du coût de la vie et apaiser les tensions sociales. Et on ne remplace pas aussi facilement un géant manufacturier comme la Chine.

«Il y a peu de chance qu'il y aura une autre Chine dans ce monde [...], donc la direction future des prix [des biens importés en Occident] est facile à prévoir», affirme la firme Crédit Suisse dans une étude. Donc, autant s'y faire: les aubaines asiatiques ne dureront pas éternellement.