Une enquête journalistique mondiale a mis sur la place publique le nom de personnalités apparemment liées à des sociétés off-shore dans des paradis fiscaux, des révélations qui relancent la polémique sur l'évasion fiscale et accentuent la pression sur le président français François Hollande dont un proche est cité.

Cette plongée dans le monde opaque des paradis fiscaux a été rendue possible par les recherches de longue haleine faites par le Consortium de journalistes d'investigation américains ICIJ, qui a fait appel à une quarantaine d'organes de presse internationaux (Le Monde, Le Guardian, la BBC, le Washington Post, la Süddeutsche Zeitung...) pour l'aider à recouper les informations. Il s'agit «sans doute de la plus grande collaboration journalistique internationale de l'histoire», selon la petite ONG basée à Washington.

L'ICIJ a réussi à se procurer un disque dur contenant 2,5 millions de courriels et des informations sur 122 000 sociétés off-shore et quelque 12 000 intermédiaires: mémos internes, copies de passeports, pièces comptables ou encore documents officiels. Soit «le plus important stock d'informations venues de l'intérieur sur le système des sociétés off-shore jamais obtenu par des médias», commente le Guardian.

Ces informations concernent principalement les Iles vierges britanniques et représentent un volume «160 fois supérieur aux informations confidentielles publiées par WikiLeaks sur le département d'État américain en 2010». Elles ont filtré à partir de deux sociétés offrant des services «offshore» à Singapour et aux Iles Vierges.

On y trouve les noms de «milliers de détenteurs» d'intérêts dans des paradis fiscaux, dentistes américains, «villageois grecs issus des classes moyennes», dirigeants étrangers, milliardaires et marchands d'armes, écrit le Guardian.

Parmi eux, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev qui aurait quatre sociétés off-shore aux Iles Vierges à son nom ou à celui de son épouse et de ses filles.

Y figurent aussi la célèbre collectionneuse d'art espagnole Carmen Thyssen-Bornemisza, la fille aînée de l'ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos, Maria, et Olga Chouvalova, la femme d'Igor Chouvalov, un homme d'affaires proche du président russe Vladimir Poutine et titulaire du poste de vice-premier ministre.

Selon le journal belge Le Soir, des diamantaires d'Anvers sont également cités dans l'enquête.

Mais l'affaire se révèle particulièrement embarrassante pour le président français Hollande, déjà aux prises avec le scandale déclenché par l'inculpation de son ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale: son trésorier pendant la campagne présidentielle de 2012, Jean-Jacques Augier, est en effet aussi mentionné par l'ICIJ.

Ce dernier a admis jeudi être actionnaire de deux sociétés offshore dans les îles Caïmans, tout en niant en avoir tiré un «avantage fiscal».

Le Guardian prend aussi le soin de rappeler que «rien ne suggère que les personnes mentionnées sur ces listes aient enfreint la loi».

Mais ce «Who's Who des paradis fiscaux», comme le baptise l'ICIJ, «montre comment le secret de la finance off-shore s'étend dans le monde, permettant aux riches d'éviter de payer des impôts, alimentant la corruption et les malheurs des pays riches et pauvres», souligne le consortium. Pour lui, la crise chypriote actuelle «est un des exemples de la façon dont le système off-shore peut affecter la stabilité financière d'un pays».

La Grèce a d'ailleurs immédiatement annoncé l'ouverture d'une enquête sur les comptes d'une centaine de sociétés offshore inconnues de ses services fiscaux, dont l'existence a été révélée par l'ICIJ. Ces dispositifs offshore ont constitué pendant des années un des vecteurs clés de l'évasion fiscale endémique dans ce pays.

La Commission européenne a profité de l'occasion pour exhorter les États membres de l'UE à «se saisir de la question» de l'évasion fiscale qui coûte «plus de 1000 milliards d'euros par an à l'Europe».

Et l'organisation de lutte contre la corruption Global Witness a estimé que les pays du G8 n'avaient désormais «plus d'excuse pour ne pas agir» contre la fraude.

Le Tax Justice Network, un réseau international de chercheurs et de militants qui lutte pour la «justice fiscale», évalue à 20 000 à 30 000 milliards de dollars le montant des sommes dissimulées dans les paradis fiscaux de par le monde.