Aux grands maux les grands remèdes, selon l'adage que fait sien la Banque centrale européenne (BCE), aux prises avec une récession qui s'aggrave et surtout des coûts d'emprunts exorbitants pour quelques pays membres de la zone euro.

Son président Mario Draghi a annoncé hier que l'institution établie à Francfort allait acheter, en quantité illimitée sur le marché secondaire, des obligations souveraines venant à échéance dans moins de trois ans émis par des pays qui peinent à (re)financer leur dette.  

L'objectif poursuivi, a-t-il indiqué en conférence de presse, est de contrer «des perturbations graves observées sur le marché des obligations publiques qui proviennent de craintes infondées de la part des investisseurs sur la réversibilité de l'euro».

M. Draghi a d'ailleurs réitéré sa foi dans l'irréversibilité de la monnaie que se partagent 17 pays.

L'initiative, baptisée Outright Monetary Transactions (OMT ou transactions monétaires illimitées), ne sera pas inflationniste, a-t-il assuré. Les achats d'obligations seront entièrement stérilisés par l'attraction de dépôts de valeur équivalente.

La BCE jugera quand les taux auront atteint sur les marchés obligataires un niveau qui menace l'éclatement de la monnaie unique», note Benjamin Reitzes, économiste chez BMO Marchés des capitaux.  

Avec l'OMT, la BCE cherche à abaisser les coûts d'emprunts de l'Espagne et de l'Italie en achetant de leurs obligations. En même temps, elle sollicitera des dépôts de montants équivalents auprès d'institutions financières de pays plus solides comme l'Allemagne ou la France.  

La BCE offrira à ses déposants un rendement semblable à celui du marché monétaire pour des échéances correspondantes.

Ce faisant, la BCE agit un peu comme un répartiteur pour s'assurer que sa politique monétaire de très faibles taux d'intérêt fonctionne dans toute la zone. Elle a d'ailleurs reconduit son taux directeur fixé à 0,75% depuis juillet.

La BCE prend le risque de la dette souveraine de certains pays que refusent de prendre les institutions financières privées», précise cependant Hendrix Vachon, économiste senior chez Desjardins.

La BCE pose quand même des conditions pour racheter des obligations. Au préalable, les pays qui souhaitent profiter de cette initiative devront formuler une demande d'aide au Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui doit sous peu se transformer en Mécanisme européen de stabilité (MES), si la Cour constitutionnelle allemande rend un verdict en ce sens mercredi prochain.  

L'OMT a d'ailleurs été annoncée hier avec la dissidence de la Bundesbank qui s'est toujours opposée à l'achat d'obligations souveraines par la BCE. La Bundesbank craint que l'accès à ce nouveau robinet de liquidités n'entrave les mesures d'austérités budgétaires et les réformes financières qu'elle juge essentielles.

M. Draghi a cependant affirmé que l'OMT visait la transmission de la politique monétaire à l'intérieur de la zone en réduisant la prime de risque que doivent payer l'Espagne et l'Italie aux prêteurs qui doutent de leur capacité à rembourser ou à servir leur dette. Cela fait partie de son mandat, assure-t-il.

Des achats sur le marché secondaire avaient d'ailleurs été faits jusqu'en mars dans le but de détendre les taux obligataires espagnols et italiens qui étaient montés en flèche en novembre. Ils avaient même entraîné la chute de Silvio Berlusconi et du gouvernement socialiste espagnol.  

L'aide demandée au FESF/MES pourra être directe, comme pour la Grèce, l'Irlande et le Portugal, ou limitée à l'acceptation de règles «strictes et effectives» en matière de politique budgétaire, comme tente de le faire l'Espagne.

La BCE souhaite l'entrée en jeu du Fonds monétaire international à titre de garant du respect des conditions imposées aux pays qui requerront l'OMT. La BCE va interrompre ses achats en cas de non-respect.

Pour ne pas indisposer les marchés financiers, la BCE a aussi indiqué qu'elle renonce à son statut de créancier privilégié, en cas de défaillance, statut qu'elle avait exigé pour la restructuration de la dette grecque en début d'année.  

La crise de la dette souveraine européenne, qui aura bientôt trois ans, a fait rechuter en récession la zone euro.

La BCE juge désormais que la décroissance sera plus prononcée que ce qu'elle avait envisagé au printemps. Cette année, la contraction sera de -0,6% à -0,2% et devrait se prolonger en partie en 2013 où elle prévoit une variation réelle du produit intérieur brut entre -0,4% et 1,4%.

Son scénario précédent était de -0,5% à 0,3% cette année et de 0% à 2,0% l'an prochain.

Un malheur n'arrivant jamais seul, la BCE juge que l'inflation dans la zone sera un peu plus élevée. Le coût de la vie grimpera de 2,4% à 2,6% cette année. Pour l'an prochain, sa fourchette de prévision est très large: de 1,3% à 2,5%. Voilà de quoi corser encore un peu une politique monétaire qui cible un taux d'inflation inférieur, mais qui frôle les 2%.