Sous le poids écrasant de la crise européenne et du ralentissement économique mondial, la forteresse du BRIC se lézarde rapidement, laissant même voir des failles béantes.

Outre la Chine, dont la perte de vitesse fait trembler les Bourses, les deux vedettes montantes de la planète BRIC - l'Inde et le Brésil - sont aussi de plus en plus inquiétantes.

En raison d'une baisse de régime du secteur manufacturier, l'économie indienne ralentit beaucoup plus rapidement que prévu tandis que les autorités brésiliennes en sont rendues à abaisser les taux d'intérêt à des creux historiques pour requinquer une économie tombée soudainement en panne.

Les vieux démons de l'Inde

Jeudi dernier, on apprenait que l'économie indienne a connu au premier trimestre 2012 sa plus faible croissance en neuf ans, à 5,3% (taux annualisé), en raison notamment de la production manufacturière au ralenti.

C'est un considérable revers de fortune pour l'Inde qui avait l'habitude d'afficher, avant la crise financière, des croissances supérieures à 9% et rêvait de dépasser la Chine au rang de première économie émergente du monde.

Le gros problème, c'est que les autorités auront du mal à trouver rapidement un remède efficace pour soigner le patient, affirme le Crédit Agricole dans une note financière.

Stimuler la croissance par des manoeuvres budgétaires semble hors de question, car l'État indien est fortement endetté, alors qu'une baisse des taux d'intérêt serait mal venue pour une économie aux prises avec une inflation élevée de plus de 7%.

L'inflation risque même de s'aggraver étant donné que la roupie, monnaie nationale, est tombée la semaine dernière à un creux historique face au billet vert américain.

Avec une devise dégonflée, l'Inde voit la facture de ses importations monter en flèche, notamment pour le pétrole. Afin de refléter cette réalité, New Delhi vient de décréter une hausse des prix de l'essence, qui sont contrôlés par l'État. Or, cette décision a provoqué des manifestations monstres et on craint une crise sociale au pays.

Tout cela survient au moment où l'Inde est à nouveau confrontée à ses vieux démons: la corruption et l'inefficacité de l'État.

Des accusations de pots de vin impliquant les membres du cabinet de Manmohan Singh, notamment dans le secteur des télécommunications, ont discrédité son gouvernement.

De plus, les pouvoirs ont maintes fois échoué dans la mise en oeuvre de politiques visant à dynamiser l'économie. Dans une histoire qui a fait le tour du monde cet hiver, le gouvernement a entre autres abandonné un projet d'ouvrir le commerce de détail aux étrangers, reculant ainsi devant la colère des petits commerçants locaux.

Divers projets d'investissement, dans les mines et l'énergie, sont aussi paralysés par la légendaire bureaucratie indienne. Si bien que le monde des affaires s'impatiente et les investissements étrangers en Inde ont chuté de presque 40% depuis un an.

Vite un nouveau souffle

Pendant ce temps, à l'autre bout du monde, la banque centrale brésilienne a réduit jeudi son taux directeur (le taux Selic) de 0,5% à 8,5% - un creux dans l'histoire récente de la première économie latino-américaine. Au pays de la samba, cela représente un énorme pas en arrière de 4% des taux d'intérêt depuis août. Et d'autres baisses sont à prévoir, selon les experts.

Contre toute attente, la croissance a été nulle au troisième trimestre 2011 et la reprise piétine depuis ce temps ("0,2% au 1er trimestre 2012) .

Même si le chômage faible et le crédit soutiennent l'économie domestique, la grande industrie brésilienne - qui dépend beaucoup des exportations - peine à se remettre en marche, avec des baisses de production sur huit des 12 derniers mois.

Les autorités espèrent donc, en stimulant la consommation avec des coûts du crédit moindres, que le Brésil pourra résister à la crise européenne.

En revanche, une nouvelle baisse des taux risque de précipiter la chute du real, monnaie brésilienne, qui a déjà plongé de 14% depuis son sommet face au dollar américain. Une stratégie d'autant plus risquée, selon la Banque ING, que l'inflation (5,2%) demeure élevée.

En somme, les derniers bilans indiens et brésiliens confirment que les économies émergentes ne sont pas immunisées contre les crises dans les pays les plus riches.

Et pour les boursicoteurs qui voudraient encore miser sur le BRIC afin de se protéger contre la tempête européenne, le directeur des marchés émergents chez Morgan Stanley, Ruchir Sharma, a fait cette recommandation la semaine dernière: «Ces marchés, qui en arrachent depuis quelque temps, pourraient encore décevoir (...) Prenez garde!», dit-il. Avis aux intéressés.