Depuis le début de la crise de la dette souveraine en Europe, les têtes des politiciens ont roulé en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne, en Italie, en Slovénie et en Slovaquie... En fait, presque tous les gouvernements ont été éjectés lors des dernières élections. En France, la campagne présidentielle soulève des tensions qui pourraient fissurer la nouvelle maison européenne.

Le 6 mai prochain, les Français, les Grecs et une partie des Allemands iront aux urnes. Ces élections auront des répercussions importantes sur l'Europe qui a encore fort à faire pour dénouer la crise de la dette souveraine et bâtir la nouvelle maison européenne.

Selon l'issue du scrutin, l'Europe pourrait vivre un été chaud et orageux. «Nous sommes prudents face à l'Europe. Je ne pense pas que nous allons revivre 2008. Mais on pourrait subir une baisse de 10 à 15%», indique Marc Christopher Lavoie, gestionnaire chez Hexavest, une firme montréalaise qui gère 9 milliards d'actifs en actions mondiales.

C'est sans compter les risques que l'euro se dégonfle. «À environ 1,30$US, nous pensons que l'euro est présentement surévalué. Il pourrait baisser à 1,20$US, comme au début de la crise grecque», estime M. Lavoie.

Tensions, attention!

La crise s'était pourtant atténuée depuis l'automne dernier, en bonne partie grâce à l'opération de refinancement à long terme (LPRO) menée par la Banque centrale européenne, en décembre et en février.

La BCE, qui ne peut pas aider directement un gouvernement, a plutôt fourni des liquidités à faible taux aux banques pour qu'elles puissent ensuite racheter des dettes souveraines.

Les marchés financiers ont poussé un soupir de soulagement. Les taux d'intérêt des obligations des pays surendettés ont considérablement baissé. Et les Bourses européennes ont connu un rebond de 25% de la mi-novembre à la mi-mars.

La BCE voudrait maintenant que les politiciens collaborent. Mais les gouvernements ont bien du mal à s'entendre. Et les élections compliquent la donne...

En Grèce, par exemple, les deux partis traditionnels avaient promis de ne pas rouvrir l'entente conclue avec l'Union européenne, après les élections. Mais ils obtiennent à peine 40% des votes ensemble, en raison de la montée de nouveaux partis plus radicaux qui préfèrent revenir à l'ancienne monnaie, plutôt que de subir un plan d'austérité dicté par l'Allemagne.

«Sans dire que ces partis pourraient prendre le pouvoir et sortir la Grèce de l'euro au lendemain des élections, il faut admettre que cela augmente les tensions», dit M. Lavoie.

Même les pays les plus disciplinés comme les Pays-Bas ont du mal à respecter leur cible. La semaine dernière, le gouvernement néerlandais a démissionné à cause des disputes sur les réductions budgétaires. Les Bourses européennes ont écopé, plongeant de plus de 2% lundi dernier.

Pendant ce temps, en France, la campagne électorale attise les tensions au sein du couple France-Allemagne, au moment où l'Europe a besoin de leadership pour sortir de la crise.

«Si la France et l'Allemagne ne sont pas capables de s'entendre sur les mesures communes pour combattre la crise, l'Europe subira des tensions supplémentaires importantes», estime Pierre Fournier, analyste géopolitique à la Financière Banque Nationale.

Rouvrir le pacte fiscal

Le candidat socialiste François Hollande, qui est sorti vainqueur du premier tour, a promis de renégocier le pacte budgétaire européen conclu en mars à l'issue de longues discussions.

François Hollande veut ajouter un volet comportant des mesures pour favoriser la croissance et l'emploi, sans quoi il ne ratifiera pas le pacte. Cette idée a d'ailleurs été appuyée par le premier ministre belge, laissant entrevoir une division européenne sur cet enjeu.

«Le débat n'est pas seulement présent en France, mais à travers l'Europe, ce qui fait en sorte que les prochaines élections dans la région auront un impact important sur le remodelage des politiques économiques», considère Michala Marcussen, chef économiste à la Société Générale.

À son avis, le débat est double. Premièrement, il y a un clivage géographique. À quelle vitesse doit-on appliquer les mesures d'austérité? Les pays centraux veulent absolument atteindre leur cible rapidement, tandis que les pays périphériques veulent ralentir la cadence.

En mars dernier, le gouvernement conservateur en Espagne a justement annoncé un déficit de 5,8%, alors qu'on ciblait 4,4%. Cela a jeté une douche froide sur les marchés financiers: les Bourses européennes se sont repliées de10% depuis la mi-mars.

Deuxièmement, il y a un clivage politique. La droite veut ramener la croissance à l'aide de réformes structurelles, tandis que la gauche mise sur une approche keynésienne avec des projets d'investissement financés par l'État, expose Mme Marcussen. Or, l'option keynésienne ne fait pas le bonheur de l'Allemagne. Et pour l'Allemagne, le pacte budgétaire est la clef de voûte dans la construction des nouveaux mécanismes de sauvetage de l'euro.

Le débat entourant le pacte fiscal risque donc de ramener des nuages dans le ciel européen.