Les prochaines semaines s'annoncent fortes en émotions pour les Britanniques, pourtant réputés flegmatiques. En mai se tiendront les élections chaudement disputées à la mairie de Londres. En juin culmineront les festivités du 60e anniversaire du couronnement de la reine Élisabeth II. Et en juillet s'ouvriront les Jeux olympiques. Mais avec une économie qui chancelle, les Britanniques ne sont pas d'humeur festive. Le pays replongera-t-il en récession à la suite de l'Europe? Le gouvernement de David Cameron a-t-il poussé l'austérité trop loin? À trois mois des Jeux d'été de 2012, gros plan sur le Royaume-Uni.

Avec sa tuque à pompon, ses baskets et son coupe-vent qui flotte sur son grand corps efflanqué, Ryan O'Rourke n'a pas le look de l'emploi. Et cela n'échappe pas au recruteur de British Telecom à qui il parle.

«Tu devrais porter une cravate», lui suggère-t-il. La remarque se veut gentille, mais elle ne fait qu'exaspérer Ryan O'Rourke.

Voilà deux ans que ce Britannique de 20 ans a perdu son travail d'homme à tout faire. «J'ai dû postuler pour une centaine de postes, mais c'est une bataille juste pour obtenir un accusé de réception», raconte ce jeune qui se débrouille en plomberie et en électricité. Au bout du rouleau, il envisage de retourner aux études. «Ce sont mes parents qui me font vivre, confie-t-il. C'est gênant.»

Ryan O'Rourke fait partie des 2,67 millions de chômeurs du Royaume-Uni. À 8,4%, le taux de chômage se trouve à son sommet des 17 dernières années.

Mais derrière cette statistique se profile le drame d'une jeunesse sacrifiée. Avec 1,04 million de sans-emploi chez les 16 à 24 ans, soit un taux de chômage de 22,5% qui est une fois et demie supérieur à son équivalent canadien, jamais autant de jeunes Britanniques n'ont cherché du travail.

Des centaines d'entre eux sont là, en ce frisquet matin de février, au centre sportif d'Enfield, un arrondissement du nord de Londres où l'on compte neuf chercheurs d'emploi pour chaque poste disponible. Une foule bigarrée s'est massée à la réception avant même l'ouverture du gymnase. Les filets de badminton ont été retirés de leurs socles pour faire place aux stands d'une quarantaine d'employeurs comme Virgin Media, Crossrail et les Forces armées britanniques.

C'est le député conservateur Nick de Bois qui a organisé cette foire aux emplois. «Je ne peux pas créer de jobs, mais, au moins, je peux réunir des entreprises à la recherche de main-d'oeuvre et des chômeurs», dit-il.

L'impuissance déclarée de ce représentant du gouvernement hérisse les syndicats et l'opposition travailliste. À défaut de créer des emplois, le gouvernement de coalition dirigé par David Cameron devrait éviter d'en sacrifier autant, font-ils valoir.

En novembre, l'organisme indépendant qui a été créé en 2010 pour suivre à la trace les finances publiques du pays, l'Office for Budget Responsability (OBR), a révisé à la hausse les coupes dans la fonction publique. Au terme du programme d'austérité de cinq ans, 710 000 postes auront disparu.

«Ces coupes ont un impact massif autant sur les services offerts que sur les communautés où ils sont livrés», dénonce Sara Gorton, directrice nationale principale pour le secteur de la santé chez UNISON, premier syndicat de la fonction publique avec près de 1,4 million de membres. Elle cite le nord-est de l'Angleterre, une région où la fonction publique a toujours pesé lourd dans l'économie.

Pour Sara Gorton, il est faux de prétendre que les services de première ligne ne sont pas touchés par les mesures d'austérité et la réforme de la santé menée en parallèle. «Ces coupes surviennent si rapidement que les employeurs et les employés n'ont pas le temps de discuter de la réorganisation du travail afin d'assurer la sécurité des patients», dit-elle.

Par exemple, le service ambulancier de Londres prévoit supprimer 890 postes sur cinq ans, dont 560 au front, pour économiser 53 millions de livres (82 millions CAN) par année. Cela représente 18% de son effectif d'environ 5000 salariés.

Le gouvernement Cameron a-t-il été trop loin, trop vite? C'est la question qui divise les Britanniques, alors que l'économie s'est contractée de 0,3% au cours des trois derniers mois de 2011.

«L'emploi dans le secteur public a chuté plus fortement et plus rapidement qu'on s'y attendait. Dans un monde idéal, les coupes seraient survenues plus tard que plus tôt», note Vicky Redwood, économiste en chef pour le Royaume-Uni chez Capital Economics.

Uniquement l'an dernier, 270 000 postes ont été supprimés dans la fonction publique, soit près de 7% des 5,94 millions de salariés à l'emploi du gouvernement, selon l'Office national de la statistique.

La firme comptable PricewaterhouseCoopers estime que le gouvernement devrait mettre la pédale douce, puisque le secteur privé ne parvient pas à compenser ces pertes. Même certains conservateurs grommellent. Ils préféreraient que le gouvernement incite les entreprises à investir avec allègement de la réglementation et des crédits d'impôt à l'embauche.

«On peut débattre du meilleur équilibre entre la hausse des impôts et la compression des dépenses, mais, devant le spectacle de l'Europe en crise, tout le monde convient qu'on n'a pas le choix de s'attaquer au déficit», dit Lee Hopley, économiste en chef d'EEF, l'association des manufacturiers britanniques, qui regroupe 6000 entreprises.

Le déficit du Royaume-Uni a atteint 98,4 milliards de livres en 2010-2011, ce qui a porté la dette nette du secteur public à 905 milliards de livres. Cela équivaut à 60,5% du produit intérieur brut (PIB). Mais cette dette enflera jusqu'à 78% du PIB en 2014-2015 avant de redescendre, prévoit l'OBR.

La détermination avec laquelle le gouvernement de coalition s'est attaqué au déficit a permis au Royaume-Uni de conserver des coûts d'emprunt très bas et sa cote AAA. Malgré tout, l'agence de notation Moody's y a récemment accolé des perspectives négatives.

«Si notre plan fiscal n'était pas crédible, nous ne pourrions pas emprunter à si bon taux, l'un des indicateurs d'une économie saine, dit le député Nick de Bois. Alors, il faut arrêter de parler d'austérité et parler des occasions d'affaires pour inciter les entreprises à investir leurs liquidités.»

La confiance des Britanniques, cependant, n'est pas là. Et cela a moins à voir avec les mesures d'austérité qu'avec les difficultés de l'Europe.

Bon an, mal an, près de la moitié des exportations britanniques se destinent au continent. Les répercussions commerciales de la récession attendue en zone euro retrancheront 1% de croissance du PIB à elles seules, estime Capital Economics.

La récession a aussi refroidi les Britanniques, qui ont longtemps été aussi dépensiers que les Américains. Et l'inflation élevée des dernières années (elle a touché un sommet de 5,2% en septembre et atteint 4,5% en 2011!) a fait fondre le pouvoir d'achat des consommateurs. Or, ils représentent les deux tiers du PIB.

Seule consolation, l'inflation devrait reculer fortement d'ici la fin de l'année, même si la flambée des prix de l'énergie a retardé cette baisse.

Malgré tout, Victoria Redwood ne croit pas que le Royaume-Uni échappera à une autre récession, même si celle-ci sera moins importante que celle de 2008-2009. Capital Economics prévoit un recul de 0,5% du PIB en 2012, suivi d'une progression de 0,5% en 2013.

Plus optimiste, l'OBR table sur une faible croissance de 0,8% cette année et de 2% l'an prochain.

Lee Hopley mise pour sa part sur une progression de 0,5% en 2012 puis de 1,8% en 2013. «Si les choses se placent en Europe, le vent pourrait tourner rapidement», croit cette économiste.

Là, les Britanniques auront de quoi célébrer.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca