Lorsque le coutelier suisse Victorinox a ouvert un luxueux magasin à La Havane, beaucoup ont jugé que c'était une folie, que personne ne pourrait s'offrir des produits à des prix aussi élevés, mais 14 mois plus tard les responsables de la boutique se frottent les mains.

«Il n'y a pas que les touristes russes, chinois ou mexicains qui achètent parce que c'est plus cher dans leurs pays, il y a aussi beaucoup de Cubains, des propriétaires de restaurants privés ou des gens qui ont de l'argent», explique à l'AFP un employé de la boutique.

Situé au coeur du quartier historique de La Havane, le magasin Victorinox affiche pourtant des prix pouvant atteindre plusieurs centaines de pesos convertibles (CUC, égal au dollar).

Dans un pays où le salaire mensuel est de l'ordre de 18 dollars et où les gens se plaignent toujours qu'il n'y a «pas d'argent», d'autres grandes chaînes internationales (Adidas, Benetton, Mango) ont également pignon sur rue.

Sans compter les restaurants, un secteur privilégié de l'ouverture du régime au travail indépendant, qui ne désemplissent pas et dont la majorité des clients sont des Cubains.

N'importe quel économiste serait étonné d'apprendre que selon les chiffres officiels, les Cubains ont enregistré en 2010 des revenus de 39,5 milliards de pesos et des dépenses un peu supérieures de 39,6 milliards. Alors que l'épargne continue de croître.

Une des explications provient de l'assouplissement des conditions de voyage à Cuba des Américano-cubains décidé par le président américain Barack Obama. Près de 400 000 d'entre eux sont venus à Cuba en 2011 et les «remesas» (envois d'argent de l'extérieur) ont atteint quelque deux milliards de dollars, selon la Commission économique pour l'Amérique latine (Cepal) des Nations unies.

En 2011, les Cubains sont devenus le deuxième groupe de touristes dans leur pays, derrière les Canadiens. Plus de trois millions de Cubains ont séjourné dans des hôtels, dont près de 100 000 dans des cinq étoiles où la chambre coûte près de dix fois le salaire mensuel.

«Tous les secteurs de la société cubaine sont en voie de restructuration en fonction de leurs revenus», estimait récemment le principal économiste cubain, Ariel Terrero, après cinq décennies de promotion de l'égalité sociale.

Les réformes économiques entreprises par le président Raul Castro depuis un an ont ouvert de larges pans du système à l'économie de marché : possibilité de ventes de véhicules et de logements, libéralisation de la vente des matériaux de construction, ouverture du crédit bancaire, subventions à la construction...

Dans certains quartiers, La Havane renaît de ses cendres. Après des années d'abandon, de nombreux immeubles sont restaurés, même si le déficit de logements reste encore énorme.

«On assiste à une lente redistribution de la richesse. Des gens qui vivaient à l'étroit avec leurs salaires vendent leur vieille voiture soviétique et se retrouvent avec 10 000 dollars. Ils retapent leur maison et achètent des produits de consommation», explique à l'AFP une économiste d'un organisme officiel sous couvert d'anonymat.

Sans compter les artistes, musiciens ou peintres, qui disposent des meilleurs revenus de Cuba et qui avec les réformes ont commencé à dépenser plus largement leur argent.

«Dépenser n'est plus tabou», explique l'un d'eux, même si une grande partie de la population, sans accès à des revenus extérieurs, reste encore à l'écart de cette nouvelle société de consommation.