Les bouleversements qui transforment le Proche-Orient font grimper à leurs plus hauts niveaux depuis huit mois les taux de rendement des obligations du Qatar et d'Abou Dhabi, où le pétrole abonde et où les protestations sont absentes. Cette situation attire des investisseurs tels que Union Investment Privatfonds et Silk Invest Ltd.

Le Qatar, premier producteur mondial de gaz naturel liquéfié, et Abou Dhabi, qui compte l'un des plus importants fonds de patrimoine souverain du monde, s'attirent une cote de Moody's Investors Service égale à celle de l'Italie et sept niveaux au-dessus de celle du Brésil. Abou Dhabi possède environ 7% des réserves mondiales de pétrole et, tout comme le Qatar, bénéficie des prix du brut qui ont été propulsés à leur plus haut niveau depuis 2008 après que des forces loyales au leader libyen, Mouammar Kadhafi, eurent affronté des rebelles dans ce pays qui vient au troisième rang parmi les producteurs de pétrole en Afrique.

«Ce sont mes chéris, ces îlots de stabilité comme le Qatar et Abou Dhabi, et aussi en partie Dubaï», lance Sergey Dergachev, qui participe à la gestion de l'équivalent de 9,6 milliards US de titres de dette de marchés émergents chez Union Investment Privatfonds, à Francfort. Les valeurs souveraines se transigent avec une prime comparativement à celles du Brésil et «cela n'a aucun sens étant donné qu'Abou Dhabi et le Qatar possèdent une immense richesse et peu de problèmes sociaux», soutient M. Dergachev, qui a acheté davantage d'obligations du Qatar la semaine dernière.

Le taux de rendement des obligations de 5,25% du Qatar libellées en dollars américains et échéant en janvier 2020 ont grimpé de 60 points de base, ou de 0,6 point de pourcentage, depuis que les protestations se sont élevées en Égypte le 25 janvier dernier, et à 4,91% jeudi dernier. Également jeudi, l'obligation de 10 ans de 6,75% d'Abou Dhabi présentait un rendement de 4,82%, un sommet depuis juin dernier. Cela se compare à un rendement de 4,27% de l'obligation brésilienne de 5,875% libellée en dollars américains venant à échéance en janvier 2019.

Moody's attribue aux obligations brésiliennes une cote de Baa3, la plus basse parmi les valeurs de qualité. L'écart de rendement entre les obligations du Qatar et du Brésil a grimpé à 75 points de base le 1er mars dernier, un sommet jamais vu.

Troubles régionaux

Les manifestations ont entraîné le départ des présidents en Tunisie et en Égypte et les troubles se sont répandus dans la région jusqu'en Libye et à Bahreïn, île nation près du Qatar. L'indice boursier de référence de l'Arabie Saoudite a chuté à son niveau le plus bas depuis avril 2009, le marché craignant que les bouleversements n'atteignent le royaume. L'instabilité au Proche-Orient, où se trouvent 57% des réserves mondiales de pétrole, a poussé les coûts d'emprunt à la hausse dans le monde.

Le rendement moyen de l'indice HSBC/NASDAQ Dubai UAE US Dollar Bond, comprenant 40 obligations d'entreprises et gouvernementales des Émirats arabes unis et du Qatar, a grimpé de 44 points de base le mois dernier, à 5,83%. Le taux de rendement de l'obligation de Bahreïn de 5,5% échéant en mars 2020 s'est haussé de 10 points de base à 6,6% la semaine dernière, selon des données de Bloomberg.

Les swaps sur défaillance concernant l'Arabie Saoudite, premier exportateur de pétrole du Proche-Orient, a dépassé la semaine dernière un sommet de 19 mois, à 143 points de base.

«La situation est très fragile et les investisseurs internationaux ne comprennent pas que le Qatar et Abou Dhabi ne sont pas l'Égypte, la Libye, la Tunisie», avance Ray Majdalani, négociateur de titres de revenu fixe de First National Bank établi à Beyrouth. «Pour eux, c'est une question de région, ajoute-t-il. Ils se débarrassent d'obligations.»

Des messages diffusés sur des sites web invitent toute la population à participer à une «journée de fureur» en Arabie Saoudite les 11 et 20 mars prochains, a indiqué la semaine dernière Human Rights Watch. Pour sa part, le prince Talal Bin Abdul Aziz Al Saud, membre de la famille royale saoudienne, a signalé le 17 février dernier que le royaume pourrait être aux prises avec des manifestations à moins que le roi Abdullah ne procède à des réformes, d'après BBC Arabic TV.

«Si la guerre civile éclate en Libye ou si des forces étrangères participent à l'éviction de Kadhafi, les perspectives de toute la région seront sombres», estime Ahmad Alanani, chef des ventes de titres de revenu fixe pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord chez Exotix Ltd. «Je dirais que le Qatar et Abou Dhabi présentent une bonne valeur, ajoute-t-il, mais j'opte encore pour la prudence parce que le risque de contagion demeure.»