Pratiquement pas une journée ne passe en Europe sans qu'un journal ou une revue de premier plan n'évoque les lancinantes interrogations ayant cours dans les milieux politiques et financiers quant à l'avenir de la zone euro.

The Economist a résumé la situation il y a quelques jours par une illustration où l'on voit un homme qui pointe un fusil vers sa tête, remplacée pour l'occasion par une pièce d'un euro.

«Ne le faites pas!» plaide le réputé hebdomadaire anglais, qui craint pour la survie de la monnaie unique européenne.

«Bien que certains pays regrettent aujourd'hui leur décision d'utiliser l'euro, l'abandonner n'a aucun sens. Mais le simple fait que l'euro doive survivre ne signifie pas que ce sera le cas. Si les dirigeants européens ne vont pas plus loin et vite, il pourrait disparaître», souligne l'équipe éditoriale.

Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a martelé le même thème lors de son passage en Grèce mardi en insistant sur la nécessité pour les dirigeants de la zone euro de trouver une «solution globale» au problème de la dette publique.

Il ne peut être résolu «pays par pays», a plaidé l'administrateur français, qui s'inquiète de l'existence d'un «défaut de gestion» au sein de la zone euro.

Le constat est partagé par les marchés financiers, qui demeurent nerveux après l'annonce d'un plan de sauvetage de 85 milliards d'euros pour l'Irlande.

Le petit pays, longtemps présenté comme un modèle de développement, frôle le gouffre en raison du coût de renflouement de son secteur bancaire, laminé par l'implosion d'une importante bulle immobilière.

Malgré les promesses de rigueur de Dublin, qui devient le second pays après la Grèce à recevoir une aide de l'Union européenne et du FMI, les taux d'emprunt exigés demeurent élevés. Et les craintes sont vives de voir le Portugal, l'Espagne ou l'Italie basculer à leur tour.

Bien que leur voix demeure minoritaire, des économistes réputés comme Nouriel Roubini préviennent qu'un des pays les plus mal en point pourrait être contraint de quitter la zone euro et de revenir à son ancienne devise pour tenter de relancer son économie.

L'Allemagne fera-t-elle faux bond?

La possibilité a aussi été évoquée que l'Allemagne, moteur économique du continent, décide de faire faux bond à la zone euro.

Le quotidien anglais The Guardian a rapporté la semaine dernière que la chancelière Angela Merkel a ouvertement évoqué cette possibilité lors d'un sommet tenu à Bruxelles fin octobre. Bien que son porte-parole ait vigoureusement démenti le compte rendu en assurant que Berlin est attaché corps et âme à l'euro, les doutes demeurent.

Le gouvernement allemand dispose d'une marge de manoeuvre réduite face à la population du pays, exaspérée par le coût considérable de plans de sauvetage faramineux qui semblent appelés à se répéter.

Lundi, Mme Merkel a annoncé qu'il n'était pas nécessaire selon elle d'augmenter les sommes disponibles dans le Fonds de secours européen, qui dispose d'environ 750 milliards d'euros. Or, les fonds pourraient venir à manquer si un pays de taille conséquente comme l'Espagne devait ultimement être renfloué.

«Catastrophique»

Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques, pense que l'abandon de la monnaie unique par l'un des pays de la zone euro aurait des répercussions potentiellement «catastrophiques».

La France et l'Allemagne, illustre-t-il, détiennent des centaines de milliards d'euros de dette des pays les plus fragiles et risqueraient d'être frappés «par effet domino» si l'un d'eux décidait de quitter la zone euro en se dotant d'une nouvelle devise à la valeur incertaine.

Par ailleurs, le départ de la zone euro de l'Allemagne, principale économie de la région, affaiblirait dramatiquement la monnaie unique, note M. Plane, qui plaide pour une réponse «systémique» à la crise.

Plutôt que de courir de feu en feu en exigeant, contre argent sonnant, de sévères plans d'austérité, les dirigeants européens doivent chercher à faire preuve d'une plus grande solidarité de manière à pouvoir gérer «de plus en plus la zone euro comme un État unique».

Il faut viser une plus grande harmonisation des politiques fiscales et économiques de la zone, plaide le spécialiste, qui juge intéressante l'idée d'introduire des «obligations européennes» pour protéger les pays les plus affaiblis des attaques financières.

La volonté politique manque cependant pour parvenir à cet objectif, constate le chercheur.

«L'Europe fait preuve d'une grande capacité de réaction quand elle est dos au mur. Peut-être qu'on verra des changements en profondeur si des pays comme l'Espagne ou l'Italie sont ciblés à leur tour», conclut M. Plane.