La fraude fiscale a aussi alimenté la crise de la dette, mais les dizaines de milliards d'euros qui échappent aux caisses des États apparaissent désormais comme une manne susceptible de combler leur déficit à moindre frais.

«Il y a clairement un lien entre les déficits accumulés et une fraude élevée, notamment dans les pays du sud de l'Europe, relève Jeffrey Owens, de l'Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE). La Grèce est un très bon exemple.»

Les données sur le sujet sont rares. Mais les pays dans le collimateur des marchés pour leur endettement semblent aussi être ceux dont l'économie souterraine a le plus proliféré.

Maurizio Bovi, un économiste italien spécialiste de l'évasion fiscale, a établi dans une publication récente une relation entre l'évolution de ces deux phénomènes, qui «avancent main dans la main». Il cite un classement qui place l'Italie, l'Espagne et la Grèce en tête des États de la zone euro: l'économie grise y représente plus de 20% du produit intérieur brut.

Selon la Commission européenne, Rome et Athènes sont à la peine lorsqu'il s'agit de collecter la TVA: entre les sommes qu'elles devraient toucher et ce qu'elles engrangent effectivement, il y a un écart respectif de 30% et 22%, contre une moyenne de 12% dans l'Union européenne.

Résultat, la dette publique pourrait presque être résorbée si l'argent caché à l'étranger était rapatrié et si les impôts étaient correctement perçus.

En Italie, l'évasion fiscale représente un manque à gagner annuel de 120 milliards pour les caisses publiques. En Grèce, «les impôts directs s'élèvent à environ 4,5% du PIB, contre une moyenne de 9% dans la zone euro», souligne Théodore Pelagidis, de l'Université du Pirée.

«L'écart représente quelque 15 milliards d'euros. Si l'État les encaissait chaque année, le déficit serait beaucoup plus faible», constate-t-il.

En cause, une administration défaillante et une corruption endémique.

Sous la pression des marchés pour qu'ils s'adonnent à la rigueur, ces pays misent désormais sur la lutte contre la fraude fiscale. Contrôles accrus, sanctions renforcées, amnisties incitatives... tous annoncent des plans censés renflouer leur budget.

Les gouvernements font preuve de créativité: la Grèce a ainsi décidé d'utiliser des images satellitaires pour repérer les propriétaires de piscines et vérifier si leur train de vie correspond aux revenus déclarés.

«Une partie de la solution repose dans la capacité de ces pays à faire en sorte que chacun paye son dû», explique Jeffrey Owens.

De ce point de vue, l'Irlande est un bon exemple, qui a réussi dans les années 2000 à récupérer près d'un milliard d'euros caché dans des centres financiers offshore.

Combattre ce fléau «est aussi une manière de montrer que le fardeau de la sortie de crise sera partagé par tous», insiste Jeffrey Owens. «La rigueur aura plus de légitimité si les contribuables ont le sentiment que tout le monde paiera plus d'impôts.»

Mener de front politique d'austérité et lutte contre la fraude peut toutefois avoir des effets pervers.

D'une part, le laxisme fiscal «est une manière indirecte de promouvoir l'économie informelle», qui a en partie amorti la crise dans ces pays, note Théodore Pelagidis.

En outre, comme l'a démontré Maurizio Bovi, la fraude fiscale est sensible aux politiques budgétaires.

«Un niveau d'imposition plus élevé incite d'ordinaire les contribuables à choisir le secteur souterrain», analyse-t-il. L'équation est donc «complexe», reconnaît cet économiste, qui ne voit qu'une solution: combiner réduction des impôts et des dépenses. Ce n'est pas la voie choisie par les gouvernements concernés, qui prévoient plutôt d'augmenter les taxes tout en sabrant les dépenses.