Imaginez un espace où les citoyens pourraient se réunir pour échanger des idées au sujet de la qualité de vie dans leur ville, pour eux et pour les générations futures. Imaginez que ces échanges puissent donner lieu à des changements très concrets dans l'élaboration des lois et des budgets municipaux, et dans la réalisation de projets et de programmes, mais que ce forum de discussion ne soit pas organisé ou dirigé par les instances politiques. Imaginez que dans cet espace, des voix multiples puissent s'exprimer, que le citoyen corporatif, l'universitaire, le professionnel, le travailleur humanitaire, le représentant de quartier puissent participer à la définition du développement durable de leur ville.

Cet espace existe déjà, et il rassemble les citoyens de plusieurs villes en Amérique du Sud. Le «réseau des villes» est né à Bogota il y a plus de 10 ans. «Bogotá Como Vamos» (bogotacomovamos.org) cherchait initialement à sensibiliser les membres de la classe politique de la ville à une information importante pour eux: la perception des citoyens au sujet de l'amélioration de leur qualité de vie, évolution qui n'était pas perçue par les citoyens à travers les indicateurs objectifs traditionnellement colligés par la municipalité. Les résultats des sondages menés par l'association et témoignant de l'expérience des citoyens ont incité les élus de la ville, qui souhaitaient le rester, à changer des choses pour améliorer la qualité de vie des citoyens de Bogota. Cet exemple a entraîné une tendance dans toute l'Amérique latine.

Aujourd'hui, c'est plus de 30 villes sud-américaines qui, chacune à sa façon et à son rythme, ont intégré le réseau. En Colombie, en plus de l'association pionnière de la ville de Bogota, Barranquilla, Cartagena, Medellín et Cali font aussi partie du réseau; en Argentine, la ville de Mendoza. Au Brésil, la première ville fut São Paulo, suivie de Rio de Janeiro. Aujourd'hui, 33 villes brésiliennes participent au réseau. Les villes brésiliennes font non seulement partie du réseau sud-américain des villes, mais ont également amorcé un projet distinct appelé «Réseau social brésilien pour les villes justes et durables», lancé en 2008. L'objectif de ce réseau est de faciliter l'échange d'informations et de connaissances permettant la collaboration entre les villes et l'évolution individuelle de chaque ville membre.

São Paulo

Parmi tous les mouvements citoyens, celui de São Paulo suscite un intérêt particulier à cause de son ampleur et de l'impact qu'il a réussi à avoir après seulement trois ans d'existence. Fondé en mai 2007, «Nossa São Paulo» (nossasaopaulo.org.br) réunit plus de 600 entités représentant des organisations hétérogènes telles que des ONG, des associations de résidants, professionnelles, syndicales, des fondations, des universités, des coopératives, des groupes pastoraux, des entreprises privées responsables socialement et d'autres organisations du troisième secteur.

Les auteures du présent article, aussi chercheuses à HEC Montréal, étudient actuellement le fonctionnement de ce mouvement. Au coeur du mouvement se trouve l'information, ou plutôt l'accessibilité qui est offerte aux citoyens. Un portail et un «observatoire du citoyen» permettent de rassembler et de rendre accessibles des expériences de citoyens et de construire une vaste base de données constituée d'indicateurs objectifs et subjectifs de la qualité de vie de la ville. Les données sont le résultat de la mise en commun d'indicateurs environnementaux, sociaux et économiques construits par 18 groupes de travail qui se réunissent mensuellement pour discuter de thèmes précis tels que la culture, la santé, le transport, l'éducation, etc.

Cent quarante indicateurs sont aujourd'hui accessibles sur l'observatoire du citoyen, données concernant les différents arrondissements de la ville. Les citoyens peuvent ainsi comparer l'évolution des indicateurs entre arrondissements et évaluer l'accomplissement des promesses contenues dans les programmes politiques.

Il n'est sans doute pas surprenant que ce mouvement des villes ait surgi en Amérique du Sud, partie du continent où est en train de renaître une longue tradition de mobilisation de société civile. La mise en réseau des organisations de la société civile d'Amérique latine permet à chaque ville de connaître les conditions des politiques publiques des autres et de se situer par rapport aux autres villes du réseau. Mais elle permet surtout un fort mouvement de la base qui force le traitement politique de préoccupations et de questions définies par les citoyens. La vigueur de ce réseau montre que la démocratie participative est la clé dans le processus de réinvention du rôle des hommes politiques et des institutions politiques dans la société contemporaine. Nous avons toujours parlé du transfert de connaissances, des meilleures pratiques et des technologies du Nord vers le Sud. Est-il arrivé, le temps, pour les sociétés nord-américaines, de se rendre à l'évidence que nous pouvons beaucoup apprendre avec les expériences innovatrices du Sud?

Marlei Pozzebon Service de l'enseignement des affaires internationales, HEC Montréal

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Chantale Mailhot Service de l'enseignement du management, HEC Montréal

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